Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/247

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Raoul n’était qu’à dix pas de la rive ; il porta le gentilhomme évanoui, le coucha sur l’herbe, desserra les cordons de son col et déboutonna les agrafes de son pourpoint.

Une minute après, l’homme aux cheveux gris était près de lui.

Olivain avait fini par aborder à son tour après force signes de croix, et les gens du bac se dirigeaient du mieux qu’ils pouvaient vers le bord, à l’aide d’une perche qui se trouvait par hasard dans le bateau.

Peu à peu, grâce aux soins de Raoul et de l’homme qui accompagnait le jeune cavalier, la vie revint sur les joues pâles du moribond, qui ouvrit des yeux d’abord égarés, mais qui bientôt se fixèrent sur celui qui l’avait sauvé.

— Ah ! monsieur, s’écria-t-il, c’est vous que je cherchais : sans vous j’étais mort, trois fois mort.

— Mais on ressuscite, monsieur, comme vous voyez, dit Raoul, et nous en serons tous quittes pour un bain.

— Ah ! monsieur, que de reconnaissance ! s’écria l’homme aux cheveux gris.

— Ah ! vous voilà, mon bon d’Arminges ! dit le jeune cavalier, je vous ai fait grand’peur, n’est-ce pas ? mais c’est votre faute : vous étiez mon précepteur, pourquoi ne m’avez-vous pas fait apprendre à mieux nager ?

— Ah ! monsieur le comte, dit le vieillard, s’il vous était arrivé malheur, je n’aurais jamais osé me représenter devant le maréchal.

— Mais comment la chose est-elle donc arrivée ? demanda Raoul.

— Ah ! monsieur, de la manière la plus simple, répondit celui à qui l’on avait donné le titre de comte. Nous étions au tiers de la rivière à peu près quand la corde du bac a cassé. Aux cris et aux mouvements qu’ont faits les bateliers, mon cheval s’est effrayé et a sauté à l’eau. Je nage mal et n’ai pas osé me lancer à la rivière. Au lieu d’aider les mouvements de mon cheval, je les paralysais, et j’étais en train de me noyer le plus galamment du monde lorsque vous êtes arrivé là tout juste pour me tirer de l’eau. Aussi, Monsieur, si vous le voulez bien, c’est désormais entre nous à la vie à la mort.

— Monsieur, dit Raoul en s’inclinant, je suis tout à fait votre serviteur, je vous l’assure.

— Je me nomme le comte de Guiche, continua le cavalier ; mon père est le maréchal de Grammont. Et maintenant que vous savez qui je suis, me ferez-vous l’honneur de me dire qui vous êtes ?

— Je suis le vicomte de Bragelonne, dit Raoul en rougissant de ne pouvoir nommer son père comme avait fait le comte de Guiche.

— Vicomte, votre visage, votre bonté et votre courage m’attirent à vous ; vous avez déjà toute ma reconnaissance. Embrassons-nous, je vous demande votre amitié.

— Monsieur, dit Raoul en rendant au comte son accolade, je vous aime aussi déjà de tout mon cœur ; faites donc état de moi, je vous prie, comme d’un ami dévoué.

— Maintenant, où allez-vous, vicomte ? demanda de Guiche.

— À l’armée de M. le Prince, comte.

— Et moi aussi, s’écria le jeune homme avec un transport de joie. Ah ! tant mieux, nous allons faire ensemble le premier coup de pistolet.

— C’est bien, aimez-vous, dit le gouverneur ; jeunes tous deux, vous n’avez sans doute qu’une même étoile, et vous deviez vous rencontrer.

Les deux jeunes gens sourirent avec la confiance de la jeunesse.

— Et maintenant, dit le gouverneur, il vous faut changer d’habits ; vos laquais, à qui j’ai donné des ordres au moment où ils sont sortis du bac, doivent être arrivés déjà à l’hôtellerie. Le linge et le vin chauffent, venez.