Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/277

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

peler les troupes partaient de leur côté à franc étrier dans des directions opposées.

Le prince lisait tout en courant.

— Monsieur, dit-il après un instant, on me dit le plus grand bien de vous ; je n’ai qu’une chose à vous apprendre, c’est que d’après le peu que j’ai vu et entendu, j’en pense encore plus qu’on ne m’en dit.

Raoul s’inclina.

Cependant, à chaque pas qui conduisait la petite troupe vers Lens, les coups de canon retentissaient plus rapprochés. Le regard du prince était tendu vers ce bruit avec la fixité de celui d’un oiseau de proie. On eût dit qu’il avait la puissance de percer les rideaux d’arbres qui s’étendaient devant lui et qui bornaient l’horizon.

De temps en temps les narines du prince se dilataient, comme s’il avait eu hâte de respirer l’odeur de la poudre, et il soufflait comme son cheval.

Enfin on entendit le canon de si près qu’il était évident qu’on n’était plus guère qu’à une lieue du champ de bataille. En effet, au détour du chemin, on aperçut le petit village d’Aunay. Les paysans étaient en grande confusion ; le bruit des cruautés des Espagnols s’était répandu et effrayait chacun ; les femmes avaient déjà fui, se retirant vers Vitry ; quelques hommes restaient seuls. À la vue du prince, ils accoururent ; un d’eux le reconnut.

— Ah ! monseigneur, dit-il, venez-vous chasser tous ces gueux d’Espagnols et tous ces pillards de Lorrains ?

— Oui, dit le prince, si tu veux me servir de guide.

— Volontiers, monseigneur ; où Votre Altesse veut-elle que je la conduise ?

— Dans quelque endroit élevé d’où je puisse découvrir Lens et ses environs.

— J’ai votre affaire, en ce cas.

— Je puis me fier à toi, tu es bon Français ?

— Je suis un vieux soldat de Rocroy, monseigneur.

— Tiens, dit le prince en lui donnant sa bourse, voilà pour Rocroy. Maintenant, veux-tu un cheval ou préfères-tu aller à pied ?

— À pied, monseigneur, à pied ; j’ai toujours servi dans l’infanterie. D’ailleurs, je compte faire passer Votre Altesse par des chemins où il faudra qu’elle-même mette pied à terre.

— Viens donc, dit le prince, et ne perdons pas de temps.

Le paysan partit, courant devant le cheval du prince ; puis, à cent pas du village, il prit par un petit chemin perdu au fond d’un joli vallon. Pendant une demi-lieue on marcha ainsi sous un couvert d’arbres, les coups de canon retentissant si près qu’on eût dit à chaque détonation qu’on allait entendre siffler le boulet. Enfin on trouva un sentier qui quittait le chemin pour s’escarper au flanc de la montagne. Le paysan prit le sentier en invitant le prince à le suivre. Celui-ci mit pied à terre, ordonna à un de ses aides de camp et à Raoul d’en faire autant, aux autres d’attendre ses ordres en se gardant et en se tenant sur le qui-vive, et il commença de gravir le sentier.

Au bout de dix minutes, on était arrivé aux ruines d’un vieux château, ces ruines couronnaient le sommet d’une colline du haut de laquelle on dominait tous les environs. À un quart de lieue à peine, on découvrait Lens aux abois, et devant Lens toute l’armée ennemie.

D’un seul coup d’œil, le prince embrassa l’étendue qui se découvrait à ses yeux depuis Lens jusqu’à Vismy. En un instant, tout le plan de la bataille qui