Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/296

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À ce moment, Mazarin, fort inquiet de la tournure que prenait la lettre, cessa de lire de nouveau et regarda le jeune homme en dessous.

Il rêvait toujours. Mazarin continua :

« Il est donc urgent, monseigneur, que je sache à quoi m’en tenir sur les vues de la France : les intérêts de ce royaume et ceux de l’Angleterre, quoique dirigés en sens inverse, se rapprochent cependant plus qu’on ne saurait le croire. L’Angleterre a besoin de tranquillité intérieure pour consommer l’expulsion de son roi ; la France a besoin de cette tranquillité pour consolider le trône de son jeune monarque ; vous avez autant que nous besoin de cette paix intérieure à laquelle nous touchons, nous, grâce à l’énergie de notre gouvernement.

« Vos querelles avec le parlement, vos dissensions bruyantes avec les princes qui aujourd’hui combattent pour vous et demain contre vous, la ténacité populaire dirigée par le coadjuteur, le président Blancmesnil et le conseiller Broussel ; tout ce désordre enfin qui parcourt les différents degrés de l’État doit vous faire envisager avec inquiétude l’éventualité d’une guerre étrangère ; car alors l’Angleterre, surexcitée par l’enthousiasme des idées nouvelles s’allierait à l’Espagne, qui déjà convoite cette alliance. J’ai donc pensé, monseigneur, connaissant votre prudence et la position toute personnelle que les événements vous font aujourd’hui ; j’ai pensé que vous aimeriez mieux concentrer vos forces dans l’intérieur du royaume de France et abandonner aux siennes le gouvernement nouveau de l’Angleterre. Cette neutralité consiste seulement à éloigner le roi Charles du territoire de France, et à ne secourir ni par armes, ni par argent, ni par troupes, ce roi entièrement étranger à votre pays.

« Ma lettre est donc toute confidentielle, et c’est pour cela que je vous l’envoie par un homme de mon intime confiance : elle précédera, par un sentiment que Votre Éminence appréciera, les mesures que je prendrai d’après les événements. Olivier Cromwell a pensé qu’il ferait mieux entendre la raison à un esprit intelligent comme celui de Mazarini, qu’à une reine, admirable de fermeté sans doute, mais trop soumise aux vains préjugés de la naissance et du pouvoir divin.

« Adieu, monseigneur ; si je n’ai pas de réponse dans quinze jours, je regarderai ma lettre comme non avenue.

« olivier cromwell. »

— Monsieur Mordaunt, dit le cardinal en élevant la voix comme pour éveiller le songeur, ma réponse à cette lettre sera d’autant plus satisfaisante pour le général Cromwell que je serai plus sûr qu’on ignorera que je la lui ai faite. Allez donc l’attendre à Boulogne-sur-Mer, et promettez-moi de partir demain matin.

— Je vous le promets, monseigneur, répondit Mordaunt ; mais combien de jours Votre Éminence me fera-t-elle attendre cette réponse ?

— Si vous ne l’avez pas reçue dans dix jours, vous pouvez partir.

Mordaunt s’inclina.

— Ce n’est pas tout, monsieur, continua Mazarin, vos aventures particulières m’ont vivement touché ; en outre, la lettre de M. Cromwell vous rend important à mes yeux comme ambassadeur. Voyons, je vous le répète, dites-moi, que puis-je faire pour vous ?

Mordaunt réfléchit un instant, et, après une visible hésitation, il allait ouvrir