Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/300

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avait dite lui-même, et continua de s’apitoyer sur le sort de Concino Concini.

— Mais enfin, monseigneur le cardinal, dit la reine impatientée, que me répondez-vous ?

— Madame, s’écria Mazarin de plus en plus attendri, madame, Votre Majesté me permettrait-elle de lui donner un conseil ? Bien entendu qu’avant de prendre cette hardiesse, je commence à me mettre aux pieds de Votre Majesté pour tout ce qui lui fera plaisir.

— Dites, monsieur, répondit la reine. Le conseil d’un homme aussi prudent que vous doit être assurément bon.

— Madame, croyez-moi, le roi doit se défendre jusqu’au bout.

— Il l’a fait, monsieur, et cette dernière bataille, qu’il va livrer avec des ressources bien inférieures à celles de ses ennemis, prouve qu’il ne compte pas se rendre sans combattre ; mais enfin, dans le cas où il serait vaincu ?

— Eh bien ! madame, dans ce cas, mon avis (je sais que je suis bien hardi de donner des conseils à Votre Majesté), mais mon avis est que le roi ne doit pas quitter son royaume ; on oublie vite les rois absents : s’il passe en France, sa cause est perdue.

— Mais alors, dit la reine, si c’est votre avis, et si vous lui portez vraiment intérêt, envoyez-lui quelque secours d’hommes et d’argent, car moi, je ne puis plus rien pour lui, car moi j’ai vendu pour l’aider jusqu’à mon dernier diamant ; il ne me reste rien, vous le savez, vous le savez mieux que personne, monsieur. S’il m’était resté quelques bijoux, j’en aurais acheté du bois pour me chauffer moi et ma fille cet hiver.

— Ah ! madame, dit Mazarin, Votre Majesté ne sait guère ce qu’elle me demande : du jour où un secours d’étrangers entre à la suite d’un roi pour le replacer sur le trône, c’est avouer qu’il n’a plus d’aide dans l’amour de ses sujets.

— Au fait, monsieur le cardinal, dit la reine impatientée de suivre cet esprit subtil dans le labyrinthe de mots où il s’égarait ; au fait, et répondez-moi oui ou non : Si le roi persiste à rester en Angleterre, lui enverrez-vous du secours ? s’il vient en France, lui donnerez-vous l’hospitalité ?

— Madame, dit le cardinal en affectant la plus grande franchise, je vais montrer à Votre Majesté, je l’espère, combien je lui suis dévoué et le désir que j’ai de terminer une affaire qu’elle a tant à cœur, après quoi Votre Majesté, je pense, ne doutera plus de mon zèle à la servir.

La reine se mordait les lèvres et s’agitait d’impatience sur son fauteuil.

— Eh bien ! qu’allez-vous faire ? dit-elle enfin ; voyons, parlez.

— Je vais à l’instant même consulter la reine, et nous déférerons de suite la chose au parlement…

— Avec lequel vous êtes en guerre, n’est-ce pas ? Vous chargerez Broussel d’en être le rapporteur. Assez, monsieur le cardinal, assez ! Je vous comprends, ou plutôt j’ai tort ; allez en effet au parlement, car c’est de ce parlement, ennemi des rois, que sont venus à la fille de ce grand, de ce sublime Henri IV, que vous admirez tant, les seuls secours qui m’aient empêchée de mourir de froid et de faim cet hiver.

Et sur ces paroles la reine se leva avec une majestueuse indignation. Le cardinal étendit vers elle ses mains jointes.

— Ah ! madame, madame, que vous me connaissez mal, mon Dieu !

Mais la reine Henriette, sans même se retourner du côté de celui qui versait ces hypocrites larmes, traversa le cabinet, ouvrit la porte elle-même, et, au milieu des gardes nombreuses de l’Éminence, des courtisans empressés à lui faire leur cour, du luxe d’une royauté rivale, elle alla prendre la main de de Winter, seul, isolé et debout : pauvre reine déjà déchue, devant laquelle tous s’inclinaient encore