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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/308

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encore de nos amis.

— Non, madame, répondit Raoul, mais, au contraire, il a gagné dans cette journée une grande gloire, et il a eu l’honneur d’être embrassé par M. le Prince sur le champ de bataille.

La jeune princesse frappa ses mains l’une contre l’autre, mais toute honteuse de s’être laissé entraîner à une pareille démonstration de joie, elle se tourna à demi et se pencha vers un vase plein de roses comme pour en respirer l’odeur.

— Voyons ce que nous dit le comte, dit la reine.

— J’ai eu l’honneur de dire à Votre Majesté qu’il écrivait au nom de son père.

— Oui, monsieur.

La reine décacheta la lettre et lut :

« Madame et reine,

« Ne pouvant avoir l’honneur de vous écrire moi-même, pour cause d’une blessure que j’ai reçue dans la main droite, je vous fais écrire par mon fils, M. le comte de Guiche, que vous savez être votre serviteur à l’égal de son père, pour vous dire que nous venons de gagner la bataille de Lens, et que cette victoire ne peut manquer de donner grand pouvoir au cardinal Mazarin et à la reine sur les affaires de l’Europe. Que Votre Majesté, si elle veut bien en croire mon conseil, profite donc de ce moment pour insister en faveur de son auguste époux auprès du gouvernement du roi. M. le vicomte de Bragelonne, qui aura l’honneur de vous remettre cette lettre, est l’ami de mon fils, auquel il a, selon toute probabilité, sauvé la vie ; c’est un gentilhomme auquel Votre Majesté peut entièrement se confier, dans le cas où elle aurait quelque ordre verbal ou écrit à me faire parvenir.

« J’ai l’honneur d’être avec respect, etc.,

« Maréchal de grammont. »

Au moment où il avait été question du service qu’il avait rendu au comte, Raoul n’avait pu s’empêcher de tourner la tête vers la jeune princesse, et alors il avait vu passer dans ses yeux une expression de reconnaissance infinie pour Raoul. Il n’y avait plus de doute, la fille du roi Charles Ier aimait son ami.

— La bataille de Lens gagnée ! dit la reine. Ils sont heureux, ici ; ils gagnent des batailles ! Oui, le maréchal de Grammont a raison, cela va changer la face de leurs affaires ; mais j’ai bien peur qu’elle ne fasse rien aux nôtres, si toutefois elle ne leur nuit pas. Cette nouvelle est récente, monsieur, continua la reine ; je vous sais gré d’avoir mis cette diligence à me l’apporter ; sans vous, sans cette lettre, je ne l’eusse apprise que demain, après-demain peut-être, la dernière de tout Paris.

— Madame, dit Raoul, le Louvre est le second palais où cette nouvelle soit arrivée. Personne encore ne la connaît, et j’avais juré à M. le comte de Guiche de remettre cette lettre à Votre Majesté avant même d’avoir embrassé mon tuteur.

— Votre tuteur est-il un Bragelonne comme vous ? demanda lord de Winter. J’ai connu autrefois un Bragelonne, vit-il toujours ?

— Non, monsieur, il est mort ; et c’est de lui que mon tuteur, dont il était parent à un degré assez proche, je crois, a hérité cette terre dont il porte le nom.

— Et votre tuteur, monsieur, demanda la reine, qui ne pouvait s’empêcher de prendre intérêt à ce beau jeune homme, comment se nomme-t-il ?

— M. le comte de la Fère, madame, répondit le jeune homme en s’inclinant.

De Winter fit un mouvement de surprise ; la reine le regarda en éclatant de