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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/336

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On était arrivé à l’escalier qui conduisait à la barque ; de Winter fit descendre les premiers les laquais qui portaient les armes, les crocheteurs qui portaient les malles, et commença à descendre après eux.

En ce moment, Athos aperçut un homme qui suivait le bord de la mer parallèle à la jetée, et qui hâtait sa marche comme pour assister de l’autre côté du port, séparé de vingt pas à peine, à leur embarquement. Il crut, au milieu de l’ombre qui commençait à descendre, reconnaître le jeune homme qui les avait questionnés.

— Oh ! oh ! se dit-il, serait-ce décidément un espion et voudrait-il s’opposer à notre embarquement ?

Mais comme, dans le cas où l’étranger aurait eu ce projet, il était déjà un peu tard pour qu’il fût mis à exécution, Athos, à son tour, descendit l’escalier, mais sans perdre de vue le jeune homme. Celui-ci, pour couper court, avait paru sur une écluse.

— Il nous en veut assûrément, dit Athos, mais embarquons-nous toujours, et, une fois en pleine mer, qu’il y vienne.

Et Athos sauta dans la barque, qui se détacha aussitôt du rivage et qui commença de s’éloigner sous l’effort de quatre vigoureux rameurs. Mais le jeune homme se mit à suivre ou plutôt à devancer la barque. Elle devait passer entre la pointe de la jetée, dominée par le fanal qui venait de s’allumer, et un rocher qui surplombait. On le vit de loin gravir le rocher de manière à dominer la barque lorsqu’elle passerait.

— Ah çà ! dit Aramis à Athos, ce jeune homme est décidément un espion.

— Quel jeune homme ? demanda de Winter en se retournant.

— Mais celui qui nous a suivis, qui nous a parlé et qui nous a attendus là-bas ; voyez.

De Winter se retourna et suivit la direction du doigt d’Aramis. Le phare inondait de clarté le petit détroit où l’on allait passer et le rocher où se tenait debout le jeune homme, qui attendait la tête nue et les bras croisés.

— C’est lui ! s’écria lord de Winter en saisissant le bras d’Athos, c’est lui ; j’avais bien cru le reconnaître et je ne m’étais pas trompé.

— Qui lui ? demanda Aramis.

— Le fils de milady, répondit Athos.

— Le moine ! s’écria Grimaud.

Le jeune homme entendit ces paroles : on eût dit qu’il allait se précipiter, tant il se tenait à l’extrémité du rocher, penché sur la mer.

— Oui, c’est moi, mon oncle ; moi, le fils de milady, moi, le moine, moi, le secrétaire et l’ami de Cromwell, et je vous connais, vous et vos compagnons.

Il y avait dans cette barque trois hommes qui étaient braves, certes, et desquels nul homme n’eût osé contester le courage ; eh bien, à cette voix, à cet accent, à ce geste, ils sentirent le frisson de la terreur courir dans leurs veines. Quant à Grimaud, ses cheveux étaient hérissés sur sa tête, et la sueur lui coulait du front.

— Ah ! dit Aramis, c’est là le neveu, c’est là le moine, c’est là le fils de milady, comme il le dit lui-même.

— Hélas, oui ! murmura de Winter.

— Alors, attendez ! dit Aramis.

Et il prit, avec le sang-froid terrible qu’il avait dans les suprêmes occasions, un des deux mousquets que tenait Tomy, l’arma et coucha en joue cet homme, qui se tenait debout sur ce rocher comme l’ange des malédictions.

— Feu ! cria Grimaud hors de lui.