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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/35

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prétées, mon cher monsieur de Rochefort. La reine n’a vu dans votre refus qu’un refus pur et simple ; elle avait eu fort à se plaindre de vous, sous le feu cardinal, Sa Majesté la reine.

Rochefort sourit avec mépris.

— C’était justement, reprit-il, parce que j’avais bien servi M. le cardinal de Richelieu contre la reine, que, lui mort, vous deviez comprendre, monseigneur, que je vous servirais bien contre tout le monde. — Moi, monsieur de Rochefort, dit Mazarin, moi, je ne suis pas comme M. de Richelieu, qui visait à la toute-puissance ; je suis un simple ministre qui n’ai pas besoin de serviteurs, étant celui de la reine. Or, Sa Majesté est très susceptible ; elle aura su votre refus, elle l’aura pris pour une déclaration de guerre, et elle m’aura, sachant combien vous êtes un homme supérieur et par conséquent dangereux, mon cher monsieur de Rochefort, elle m’aura ordonné de m’assurer de vous. Voilà comment vous vous trouvez à la Bastille. — Eh bien ! monseigneur, il me semble, dit Rochefort, que si c’est par erreur que je me trouve à la Bastille… — Oui, oui, reprit Mazarin, certainement, tout cela peut s’arranger ; vous êtes homme à comprendre certaines affaires, vous, et, une fois ces affaires comprises, à les bien pousser. — C’était l’avis de M. le cardinal de Richelieu, et mon admiration pour ce grand homme s’augmente encore de ce que vous voulez bien me dire que c’est aussi le vôtre. — C’est vrai, reprit Mazarin, M. le cardinal avait beaucoup de politique ; c’est ce qui faisait sa grande supériorité sur moi, qui suis un homme tout simple et sans détours ; voilà même ce qui me nuit, j’ai une franchise toute française…

Rochefort se pinça les lèvres pour ne pas sourire.

— Je viens donc au but ; j’ai besoin de bons amis, de serviteurs fidèles ; quand je dis besoin, je veux dire : la reine a besoin. Je ne fais rien que par les ordres de la reine, moi, entendez-vous bien ; ce n’est pas comme M. le cardinal de Richelieu, qui faisait tout à son caprice. Aussi, je ne serai jamais un grand homme comme lui ; mais en échange, je suis un bon homme, monsieur de Rochefort, et j’espère que je vous le prouverai.

Rochefort connaissait cette voix soyeuse, dans laquelle glissait de temps en temps un sifflement qui ressemblait à celui de la vipère.

— Je suis tout prêt à croire monseigneur, dit-il, quoique, pour ma part, j’aie eu peu de preuves de cette bonhomie dont parle Votre Éminence. N’oubliez pas, monseigneur, reprit Rochefort, voyant le mouvement qu’essayait de réprimer le ministre, n’oubliez pas que depuis cinq ans je suis à la Bastille, et que rien ne fausse les idées comme de voir les choses à travers les grilles d’une prison. — Ah ! monsieur de Rochefort, je vous ai déjà dit que je n’y étais pour rien, dans votre prison. La reine (colère de femme et de princesse, que voulez-vous ? mais cela passe comme cela vient, et après on n’y pense plus)… — Je conçois, monseigneur, qu’elle n’y pense plus, elle qui a passé cinq ans au Palais-Royal, au milieu des fêtes et des courtisans ; mais, moi, qui les ai passés à la Bastille… — Hé ! mon Dieu ! mon cher de Rochefort, croyez-vous que le Palais-Royal soit un séjour bien gai ? Non pas, allez. Nous y avons eu, nous aussi, de grands tracas, je vous assure. Mais, tenez, ne parlons plus de tout cela. Moi, je joue cartes sur table, comme toujours. Voyons, êtes-vous des nôtres, monsieur de Rochefort ? — Vous devez comprendre, monseigneur, que je ne demande pas mieux, mais je ne suis