Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/358

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Le coadjuteur alla à lui et lui tendit la main. Le jeune homme le regarda comme s’il eût voulu lire au fond de son cœur.

— Mon cher monsieur Louvières, dit le coadjuteur, croyez que je prends une part bien réelle au malheur qui vous arrive.

— Est-ce vrai et parlez-vous sérieusement ? dit Louvières.

— Du fond du cœur, dit de Gondy.

— En ce cas, monseigneur, le temps des paroles est passé, et l’heure d’agir est venue ; monseigneur, si vous le voulez, mon père, dans trois jours, sera hors de prison, et dans six mois vous serez cardinal.

Le coadjuteur tressaillit.

— Oh ! parlons franc, dit Louvières, et jouons cartes sur table. On ne sème pas pour trente mille écus d’aumônes comme vous l’avez fait depuis six mois par pure charité chrétienne, ce serait trop beau. Vous êtes ambitieux, c’est tout simple, vous êtes homme de génie et vous sentez votre valeur. Moi, je hais la cour et n’ai, en ce moment-ci, qu’un seul désir, la vengeance. Donnez-nous le clergé et le peuple, dont vous disposez ; moi, je vous donne la bourgeoisie et le parlement ; avec ces quatre éléments, dans huit jours Paris est à nous, et croyez-moi, monsieur le coadjuteur, la cour donnera par crainte ce qu’elle ne donnerait point par bienveillance.

Le coadjuteur regarda à son tour Louvières de son œil perçant.

— Mais, monsieur Louvières, savez-vous que c’est tout bonnement la guerre civile que vous me proposez là ?

— Vous la préparez depuis assez longtemps, monseigneur, pour qu’elle soit la bienvenue de vous.

— N’importe, dit le coadjuteur, vous comprenez que cela demande réflexion.

— Et combien d’heures de réflexion demandez-vous ?

— Douze heures, monsieur. Est-ce trop ?

— Il est midi, à minuit je serai chez vous.

— Si je n’étais pas rentré, attendez-moi.

— À merveille ! À minuit, monseigneur.

— À minuit, mon cher monsieur Louvières.

Resté seul, Gondy manda chez lui tous les curés avec lesquels il était en relations. Deux heures après, il avait réuni trente desservants des paroisses les plus populeuses, et par conséquent les plus remuantes de Paris. Gondy leur raconta l’insulte qu’on venait de lui faire au Palais-Royal, et rapporta les plaisanteries de Beautru, du duc de Villeroy et du maréchal de La Meilleraie. Les curés lui demandèrent ce qu’il y avait à faire.

— C’est tout simple, dit le coadjuteur, vous dirigez les consciences ; eh bien, sapez-y ce misérable préjugé de la crainte et du respect des rois, apprenez à vos ouailles que la reine est un tyran, et répétez, tant et si fort que chacun le sache, que les malheurs de la France viennent du Mazarin, son amant et son corrupteur ; commencez l’œuvre aujourd’hui, à l’instant même, et dans trois jours je vous attends au résultat. En outre, si quelqu’un de vous a un bon conseil à me donner, qu’il reste, je l’écouterai avec plaisir.

Trois curés restèrent : celui de Saint-Merri, celui de Saint-Sulpice et celui de Saint-Eustache. Les autres se retirèrent.

— Vous croyez donc pouvoir m’aider encore plus efficacement que vos confrères ? dit Gondy.

— Nous l’espérons, reprirent les curés.

— Voyons, monsieur le desservant de Saint-Merri, commencez.

— Monseigneur, j’ai dans mon quartier un homme qui pourrait vous être de la plus grande utilité.

— Quel est cet