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retirant, il jeta les yeux sur la portière par laquelle était entrée la reine, et au bas de la tapisserie il aperçut le bout d’un soulier de velours.

— Bon, dit-il, le Mazarin écoutait pour voir si je ne le trahissais pas. En vérité, ce pantin d’Italie ne mérite pas d’être servi par un honnête homme.

D’Artagnan n’en fut pas moins exact au rendez-vous ; à neuf heures et demie, il entrait dans l’antichambre.

Bernouin attendait et l’introduisit.

Il trouva le cardinal habillé en cavalier. Il avait fort bonne mine sous ce costume, qu’il portait, nous l’avons déjà dit, avec élégance ; seulement il était fort pâle et tremblait quelque peu.

— Tout seul ? dit Mazarin.

— Oui, monseigneur.

— Et ce bon M. du Vallon, ne jouirons-nous pas de sa compagnie ?

— Si fait, monseigneur ; il attend dans son carosse.

— Où cela ?

— À la porte du jardin du Palais-Royal.

— C’est donc dans son carosse que nous partons ?

— Oui, monseigneur.

— Et sans autre escorte que vous deux ?

— N’est-ce donc pas assez ? un des deux suffirait.

— En vérité, mon cher monsieur d’Artagnan, dit Mazarin, vous m’épouvantez avec votre sang-froid.

— J’aurais cru au contraire qu’il devait vous inspirer de la confiance.

— Et Bernouin, est-ce que je ne l’emmène pas ?

— Il n’y a pas de place pour lui, il viendra rejoindre Votre Éminence.

— Allons, dit Mazarin, puisqu’il faut faire en tout comme vous le voulez.

— Monseigneur, il est encore temps de reculer, dit d’Artagnan, et Votre Éminence est parfaitement libre.

— Non pas, non pas, dit Mazarin, partons.

Et tous deux descendirent par l’escalier dérobé, Mazarin appuyant au bras de d’Artagnan son bras que le mousquetaire sentait trembler sur le sien. Ils traversèrent les cours du Palais-Royal, où stationnaient encore quelques carosses de convives attardés, gagnèrent le jardin et atteignirent la petite porte. Mazarin essaya de l’ouvrir à l’aide d’une clé qu’il tira de sa poche, mais la main lui tremblait tellement qu’il ne put trouver le trou de la serrure.

— Donnez, dit d’Artagnan.

Mazarin lui donna la clé, d’Artagnan ouvrit et remit la clé dans sa poche ; il comptait rentrer par là.

Le marchepied était abaissé, la porte ouverte, Mousqueton se tenait à la portière, Porthos était au fond de la voiture.

— Montez, monseigneur, dit d’Artagnan.

Mazarin ne se le fit pas dire deux fois et il s’élança dans le carosse. D’Artagnan monta derrière lui, Mousqueton referma la portière et se hissa avec force gémissements derrière la voiture ; il avait fait quelques difficultés pour partir sous prétexte que sa blessure le faisait encore souffrir, mais d’Artagnan lui avait dit :

— Restez si vous voulez, mon cher monsieur Mouston, mais je vous préviens que Paris sera brûlé cette nuit.

Sur quoi Mousqueton n’en avait pas demandé davantage et avait déclaré qu’il était prêt à suivre son maître et M. d’Artagnan au bout du monde.

La voiture partit à un trot raisonnable et qui ne dénonçait pas le moins du monde qu’elle renfermât des gens pressés. Le cardinal s’essuya le front avec son mouchoir et regarda autour de lui… Il avait à sa gauche Porthos, et à sa droite d’Artagnan ; chacun gardait une portière, chacun lui servait de rempart. En face