Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/420

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attendu que les lamentations seraient superflues.

— Il y en a une qui vient justement d’arriver.

Et elle donna la lettre à d’Artagnan.

— D’Athos ! s’écria d’Artagnan en reconnaissant l’écriture ferme et allongée de leur ami.

— Ah ! fit Porthos, voyons un peu quelles choses il dit.

D’Artagnan ouvrit la lettre et lut :

« Cher d’Artagnan, cher du Vallon, mes bons amis, peut-être recevez-vous de mes nouvelles pour la dernière fois. Aramis et moi nous sommes bien malheureux ; mais Dieu, notre courage et le souvenir de notre amitié nous soutiennent. Pensez bien à Raoul. Je vous recommande les papiers qui sont à Blois, et dans deux mois et demi, si vous n’avez pas reçu de nos nouvelles, prenez-en connaissance. Embrassez le vicomte de tout votre cœur pour votre ami dévoué.

« Athos. »

— Je le crois pardieu bien, que je l’embrasserai, dit d’Artagnan, avec cela qu’il est sur notre route, et s’il a le malheur de perdre notre pauvre Athos, de ce jour il devient mon fils.

— Et moi, dit Porthos, je le fais mon légataire universel.

— Voyons, que dit encore Athos ?

« Si vous rencontrez par les routes un M. Mordaunt, défiez-vous-en. Je ne puis vous en dire davantage dans ma lettre. »

— M. Mordaunt ! dit avec surprise d’Artagnan.

— M. Mordaunt, c’est bon, dit Porthos, on s’en souviendra. Mais, voyez donc, il y a un post-scriptum d’Aramis.

— En effet, dit d’Artagnan, et il lut :

« Nous vous cachons le lieu de notre séjour, chers amis, connaissant votre dévoûment fraternel, et sachant bien que vous viendriez mourir avec nous. »

— Sacrebleu ! interrompit Porthos avec une explosion de colère qui fit bondir Mousqueton à l’autre bout de la chambre, sont-ils donc en danger de mort ?

D’Artagnan continua :

« Athos vous lègue Raoul, et moi je vous lègue une vengeance. Si vous mettez par bonheur la main sur un certain Mordaunt, dites à Porthos de l’emmener dans un coin et de lui tordre le cou. Je n’ose vous en dire davantage dans une lettre.

« Aramis. »

— Si ce n’est que cela, dit Porthos, c’est facile à faire.

— Au contraire, dit d’Artagnan d’un air sombre, c’est impossible.

— Et pourquoi cela ?

— C’est justement ce M. Mordaunt que nous allons rejoindre à Boulogne et avec lequel nous passons en Angleterre.

— Eh bien ! si au lieu d’aller rejoindre ce M. Mordaunt, nous allions rejoindre nos amis ? dit Porthos avec un geste capable d’épouvanter une armée.

— J’y ai bien pensé, dit d’Artagnan ; mais la lettre n’a ni date ni timbre.

— C’est juste, dit Porthos.

Et il se mit à errer dans la chambre comme un homme égaré, gesticulant et tirant à tout moment son épée au tiers du fourreau.

Quant à d’Artagnan, il restait debout comme un homme consterné, et la plus