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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/502

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Un instant après, d’Artagnan rentra à son tour.

— Videz vos poches, dit-il, jusqu’à la concurrence de cent livres sterling, car, quant aux miennes, et d’Artagnan retourna ses poches absolument vides.

La somme fut faite à la seconde ; d’Artagnan sortit et rentra un instant après.

— Là ! dit-il, c’est fini. Ouf ! ce n’est pas sans peine.

— Le bourreau a quitté Londres ? demanda Athos.

— Ah bien oui ! ce n’était pas assez sûr, cela. Il pouvait sortir par une porte et rentrer par l’autre.

— Et où est-il ? demanda Athos.

— Dans la cave.

— Dans quelle cave ?

— Dans la cave de notre hôte ; Mousqueton est assis sur le seuil, et voici la clé.

— Bravo ! dit Aramis. Mais comment avez-vous décidé cet homme à disparaître ?

— Comme on décide tout en ce monde, avec de l’argent ; cela m’a coûté cher, mais il y a consenti.

— Et combien cela vous a-t-il coûté, ami ? dit Athos ; car, vous le comprenez, maintenant que nous ne sommes plus tout à fait de pauvres mousquetaires sans feu ni lieu, toutes dépenses doivent être communes.

— Cela m’a coûté douze mille livres, dit d’Artagnan.

— Et où les avez-vous trouvées ? demanda Athos ; possédiez-vous donc cette somme ?

— Et le fameux diamant de la reine ! dit d’Artagnan avec un soupir.

— Ah ! c’est vrai, dit Aramis, je l’avais reconnu à votre doigt.

— Vous l’avez donc racheté à M. des Essarts ? demanda Porthos.

— Eh ! mon Dieu oui, dit d’Artagnan ; mais il est écrit là-haut que je ne pourrai pas le garder. Que voulez-vous ! les diamants, à ce qu’il faut croire, ont leurs sympathies et leurs antipathies comme les hommes ; il paraît que celui-là me déteste.

— Mais, dit Athos, voilà qui va bien pour le bourreau ; malheureusement tout bourreau a son aide, son valet, que sais-je moi.

— Aussi celui-là avait-il le sien ; mais nous jouons de bonheur.

— Comment cela ?

— Au moment où je croyais que j’allais avoir une seconde affaire à traiter, on a rapporté mon gaillard avec une cuisse cassée. Par excès de zèle, il a accompagné jusque sous les fenêtres du roi la charrette qui portait les poutres et les charpentes ; une de ces poutres lui est tombée sur la jambe et la lui a brisée.

— Ah ! dit Aramis, c’est donc lui qui a poussé le cri que j’ai entendu de la chambre du roi.

— C’est probable, dit d’Artagnan ; mais comme c’est un homme bien pensant, il a promis en se retirant d’envoyer en son lieu et place quatre ouvriers experts et habiles pour aider ceux qui sont déjà à la besogne ; et en rentrant chez son patron, tout blessé qu’il était, il a écrit à l’instant même à maître Tom Low, garçon charpentier de ses amis, de se rendre à White-Hall pour accomplir sa promesse. Voici la lettre qu’il envoyait par un exprès qui devait la porter pour dix pence et qui me l’a vendue un louis.

— Et que diable voulez-vous faire de cette lettre ? demanda Athos.

— Vous ne devinez pas ? dit d’Artagnan avec ses yeux brillants d’intelligence.

— Non, sur mon âme !

— Eh bien, mon cher Athos, vous qui parlez anglais comme John Bull lui-même, vous êtes maître Tom Low, et nous sommes, nous, vos trois compagnons ; comprenez-vous maintenant ?

Athos poussa un cri de joie et d’admiration, courut à un cabinet, en tira les habits d’ouvrier, que revêtirent aussitôt les quatre amis, après quoi ils sortirent de l’hôtel, Athos portant une scie, Porthos une pince, Aramis une hache, et d’Artagnan un marteau et des clous.

La lettre du valet de l’exécuteur faisait foi près du maître charpentier que c’était bien eux que l’on attendait.