Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/576

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même point qu’elle paraissait fort inquiète.

— Au fait, dit Aramis, il n’y a point de temps de perdu, et nous avons fait grande diligence. Permettez donc, mon cher Athos, sans que je m’informe davantage de notre ami, que je fasse mes compliments à M. Planchet.

— Ah ! monsieur le chevalier ! dit Planchet en s’inclinant.

— Lieutenant ! dit Aramis.

— Lieutenant, et promesse pour être capitaine.

— C’est fort beau, dit Aramis ; et comment tous ces honneurs sont-ils venus à vous ?

— D’abord vous savez, messieurs, que c’est moi qui ai fait sauver M. de Rochefort ?

— Oui, pardieu ! il nous a conté cela.

— J’ai à cette occasion failli être pendu par le Mazarin, ce qui m’a rendu naturellement plus populaire encore que je n’étais.

— Et grâce à cette popularité…

— Non, grâce à quelque chose de mieux. Vous savez d’ailleurs, messieurs, que j’ai servi dans le régiment de Piémont, où j’avais l’honneur d’être sergent.

— Oui.

— Eh bien ! un jour que personne ne pouvait mettre en rang une foule de bourgeois armés qui partaient les uns du pied gauche et les autres du pied droit, je suis parvenu, moi, à les faire partir tous du même pied, et l’on m’a fait lieutenant sur le champ de… manœuvre.

— Voilà l’explication, dit Aramis.

— De sorte, dit Athos, que vous avez une foule de noblesse avec vous ?

— Certes. Nous avons d’abord, comme vous le savez sans doute, M. le prince de Conti, M. le duc de Longueville, M. le duc de Beaufort, M. le duc d’Elbeuf, le duc de Bouillon, le duc de Chevreuse, M. de Brissac, le maréchal de La Mothe, M. de Luynes, le marquis de Vitry, le prince de Marsillac, le marquis de Noirmoutier, le comte de Fiesques, le marquis de Laigues, le comte de Montrésor, le marquis de Sévigné, que sais-je encore, moi !

— Et M. Raoul de Bragelonne ? demanda Athos d’une voix émue ; d’Artagnan m’a dit qu’il vous l’avait recommandé en partant, mon bon Planchet.

— Oui, monsieur le comte, comme si c’était son propre fils, et je dois dire que je ne l’ai pas perdu de vue un seul instant.

— Alors, reprit Athos d’une voix altérée par la joie, il se porte bien ? aucun accident ne lui est arrivé ?

— Aucun, monsieur.

— Et il demeure ?

— Au Grand-Charlemagne, toujours.

— Il passe ses journées ?…

— Tantôt chez la reine d’Angleterre, tantôt chez Mme  de Chevreuse. Lui et le comte de Guiche ne se quittent point.

— Merci, Planchet, merci ! dit Athos en lui tendant la main.

— Oh ! monsieur le comte, dit Planchet en touchant cette main du bout des doigts.

— Eh bien ! que faites-vous donc, comte ? à un ancien laquais ! dit Aramis.

— Ami, dit Athos, il me donne des nouvelles de Raoul.

— Et maintenant, messieurs, demanda Planchet qui n’avait point entendu l’observation, que comptez-vous faire ?

— Rentrer dans Paris, si toutefois vous nous en donnez la permission, mon cher monsieur Planchet, dit Athos.

— Comment ! si je vous en donnerai la permission ! vous vous moquez de moi, monsieur le comte ; je ne suis pas autre chose que votre serviteur.

Et il s’inclina… Puis, se retournant vers ses hommes :

— Laissez passer ces messieurs, dit-il, je les connais, ce sont des amis de M. de Beaufort.

— Vive M. de Beaufort ! cria tout le poste d’une seule voix en ouvrant un chemin à Athos et à Aramis.

Le sergent seul s’approcha de Planchet :

— Quoi ! sans passe-port ? murmura-t-il.

— Sans passe-port, dit Planchet.

— Faites attention, capitaine, continua-t-il en donnant d’avance à Planchet le titre