Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/580

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— Maintenant, il ne nous reste plus qu’à présenter à Votre Majesté nos humbles respects, dit Châtillon, à qui ce rôle semblait peser et qui rougissait à vue d’œil sous le regard fixe et perçant d’Athos.

— Un moment encore, messieurs, dit la reine en les retenant d’un signe. Un moment, de grâce ! car voici messieurs de La Fère et d’Herblay qui, ainsi que vous avez pu l’entendre, arrivent de Londres et qui vous donneront peut-être, comme témoins oculaires, des détails que vous ne connaissez pas. Vous porterez ces détails à la reine, ma bonne sœur. Parlez, messieurs, parlez, je vous écoute. Ne me cachez rien ; ne ménagez rien. Dès que Sa Majesté vit encore et que l’honneur royal est sauf, tout le reste m’est indifférent.

Athos pâlit et appuya une main sur son cœur.

— Eh bien ! dit la reine, qui vit ce mouvement et cette pâleur ; parlez donc, monsieur, je vous en prie.

— Pardon, madame, dit Athos ; mais je ne veux rien ajouter au récit de ces messieurs avant qu’ils aient reconnu que peut-être ils se sont trompés.

— Trompés ! s’écria la reine presque suffoquée ; trompés !… Qu’y a-t-il donc, ô mon Dieu !

— Messieurs, dit M. de Flamarens à Athos, si nous nous sommes trompés, c’est de la part de la reine que vient l’erreur, et vous n’avez pas, je suppose, la prétention de la rectifier, car ce serait donner un démenti à Sa Majesté.

— De la reine ? monsieur, reprit Athos de sa voix calme et vibrante.

— Oui, murmura Flamarens en baissant les yeux.

Athos soupira tristement.

— Ne serait-ce pas plutôt de la part de celui qui vous accompagnait et que nous avons vu avec vous au corps de garde de la barrière du Roule, que viendrait cette erreur avec sa politesse insultante ? Car, si nous ne nous sommes trompés, le comte de la Fère et moi, vous étiez trois en entrant dans Paris.

Châtillon et Flamarens tressaillirent.

— Mais expliquez-vous, comte ! s’écria la reine dont l’angoisse croissait de moment en moment ; sur votre front je lis le désespoir, votre bouche hésite à m’annoncer quelque nouvelle terrible, vos mains tremblent… Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! qu’est-il donc arrivé ?

— Seigneur ! dit la jeune princesse en tombant à genoux près de sa mère, ayez pitié de nous !

— Monsieur, dit Châtillon, si vous portez une nouvelle funeste, vous agissez en homme cruel lorsque vous annoncez cette nouvelle à la reine.

Aramis s’approcha de Châtillon presque à le toucher.

— Monsieur, lui dit-il les lèvres pincées et le regard étincelant, vous n’avez pas, je le suppose, la prétention d’apprendre à M. le comte de la Fère et à moi ce que nous avons à dire ici.

Pendant cette courte altercation, Athos, toujours la main sur son cœur et la tête inclinée, s’était approché de la reine, et d’une voix émue :

— Madame, lui dit-il, les princes, qui, par leur nature, sont au-dessus des autres hommes, ont reçu du ciel un cœur fait pour supporter de plus grandes infortunes que celles du vulgaire ; car leur cœur participe de leur supériorité. On ne doit donc pas, ce me semble, en agir avec une grande reine comme Votre Majesté de la même façon qu’avec une femme de notre état. Reine, destinée à tous les martyres sur cette terre, voici le résultat de la mission dont vous nous avez honorés.