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heures, car quoique la nuit fût fort avancée lorsqu’ils étaient arrivés à la porte de l’hôtel, Aramis avait prétendu qu’il avait encore quelques visites d’importance à faire et avait laissé Athos entrer seul… Le lendemain à dix heures sonnantes ils étaient réunis. Depuis six heures du matin Athos était sorti de son côté.

— Eh bien ! avez-vous eu quelque nouvelle ? demanda Athos.

— Aucune : on n’a vu d’Artagnan nulle part, et Porthos n’a pas encore paru. Et chez vous ?

— Rien.

— Diable ! fit Aramis.

— En effet, dit Athos, ce retard n’est point naturel ; ils ont pris la route la plus directe, et par conséquent ils auraient dû arriver avant nous.

— Ajoutez à cela, dit Aramis, que nous connaissons d’Artagnan pour la rapidité de ses manœuvres, et qu’il n’est pas homme à avoir perdu une heure, sachant que nous l’attendions…

— Il comptait, si vous vous rappelez, être ici le 5.

— Et nous voilà au 9. C’est ce soir qu’expire le délai.

— Que comptez-vous faire, demanda Athos, si ce soir nous n’avons pas de nouvelles ?

— Pardieu ! nous mettre à sa recherche.

— Bien, dit Athos.

— Mais Raoul ? demanda Aramis.

Un léger nuage passa sur le front du comte.

— Raoul me donne beaucoup d’inquiétude, dit-il ; il a reçu hier un message du prince de Condé ; il est allé le rejoindre à Saint-Cloud et n’est pas revenu.

— N’avez-vous point vu Mme de Chevreuse ?

— Elle n’était point chez elle. Et vous, Aramis, vous deviez passer, je crois, chez Mme de Longueville ?

— J’y suis passé en effet.

— Eh bien ?

— Elle n’était point chez elle non plus, mais au moins elle avait laissé l’adresse de son nouveau logement.

— Où était-elle ?

— Devinez, je vous le donne en mille.

— Comment voulez-vous que je devine où est à minuit, car je présume que c’est en me quittant que vous vous êtes présenté chez elle ; comment, dis-je, voulez-vous que je devine où est à minuit la plus belle et la plus active de toutes les frondeuses ?

— À l’Hôtel-de-Ville ! mon cher !

— Comment, à l’Hôtel-de-Ville ? Elle est donc nommée prévôt des marchands ?

— Non, mais elle s’est faite reine de Paris par intérim, et comme elle n’a pas osé de prime abord aller s’établir au Palais-Royal ou aux Tuileries, elle s’est installée à l’Hôtel-de-Ville, où elle va donner incessamment un héritier ou une héritière à ce cher duc.

— Vous ne m’aviez pas fait part de cette circonstance, Aramis, dit Athos.

— Bah ! vraiment ! C’est un oubli alors, excusez-moi.

— Maintenant, demanda Athos, qu’allons-nous faire d’ici à ce soir ? Nous voici fort désœuvrés, ce me semble.

— Vous oubliez, mon ami, que nous avons de la besogne toute taillée.

— Où cela ?

— Du côté de Charenton, morbleu ! J’ai l’espérance, d’après sa promesse, de rencontrer là un certain M. de Châtillon que je déteste depuis longtemps.

— Et pourquoi cela ?

— Parce qu’il est frère d’un certain M. de Coligny.

— Ah ! c’est vrai, j’oubliais… lequel a prétendu à l’honneur d’être votre rival. Il a été bien cruellement puni de cette audace, mon cher, et, en vérité, cela devrait vous suffire.

— Oui ; mais que voulez-vous ! cela ne me suffit point. Je suis rancunier ; c’est le seul point par lequel je tienne à l’église. Après cela, vous comprenez, Athos, vous n’êtes aucunement forcé de me suivre.

— Allons donc, dit Athos, vous plaisantez !

— En ce cas, mon cher, si vous êtes décidé à m’accompagner, il n’y a point de temps à perdre. Le tambour a battu, j’ai rencontré les canons qui partaient, j’ai vu les bourgeois qui se rangeaient en bataille sur la place de ville ; on va bien certainement se battre vers Charenton,