Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/602

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— Ah ! ah ! dit Aramis, qui ne pouvait, dans sa jalousie, ne pas se réjouir de l’échec arrivé au coadjuteur, en votre qualité d’archevêque, monseigneur, vous devez connaître les Écritures.

— Et qu’ont de commun les Écritures avec ce qui m’arrive ? demanda le coadjuteur.

— Que M. le Prince vous traite aujourd’hui comme saint Paul : la première aux Corinthiens.

— Allons ! allons ! dit Athos, le mot est joli, mais il ne faut pas attendre ici les compliments. En avant ! en avant ! ou plutôt en arrière, car la bataille m’a bien l’air d’être perdue pour les frondeurs.

— Cela m’est bien égal ! dit Aramis, je ne venais ici que pour rencontrer M. de Châtillon. Je l’ai rencontré, je suis content. Un duel avec un Châtillon, c’est flatteur !

— Et de plus un prisonnier, dit Athos en montrant Raoul.

Les trois cavaliers continuèrent la route au galop.

Le jeune homme avait ressenti un frisson de joie en retrouvant son père. Ils galopaient l’un à côté de l’autre, la main gauche du jeune homme dans la main droite d’Athos. Quand ils furent loin du champ de bataille :

— Qu’alliez-vous donc faire si avant dans la mêlée, mon ami ? demanda Athos au jeune homme ; ce n’était point là votre place, ce me semble, n’étant pas mieux armé pour le combat.

— Aussi ne devais-je point me battre aujourd’hui, monsieur. J’étais chargé d’une mission pour le cardinal, et je partais pour Rueil, quand voyant charger M. de Châtillon, l’envie me prit de charger à ses côtés. C’est alors qu’il me dit que deux cavaliers de l’armée parisienne me cherchaient, et qu’il me nomma le comte de la Fère.

— Comment ! vous saviez que nous étions là, et vous avez voulu tuer votre ami le chevalier ?

— Je n’avais point reconnu M. le chevalier sous son armure, dit en rougissant Raoul, mais j’aurais dû le reconnaître à son adresse et à son sang-froid.

— Merci du compliment, mon jeune ami, dit Aramis, et l’on voit qui vous a donné des leçons de courtoisie. Mais vous allez à Rueil, dites-vous ?

— Oui.

— Chez le cardinal ?

— Sans doute. J’ai une dépêche de M. le Prince pour Son Éminence.

— Il faut la porter, dit Athos.

— Oh ! pour cela, un instant, pas de fausse générosité, comte. Que diable ! notre sort, et, ce qui est plus important, le sort de nos amis, est peut-être dans cette dépêche.

— Mais il ne faut pas que ce jeune homme manque à son devoir, dit Athos.

— D’abord, comte, ce jeune homme est prisonnier, vous l’oubliez. Ce que nous faisons là est donc de bonne guerre. D’ailleurs, des vaincus ne doivent pas être difficiles sur le choix des moyens. Donnez cette dépêche, Raoul.

Raoul hésita, regardant Athos comme pour chercher une règle de conduite dans ses yeux.

— Donnez la dépêche, Raoul, dit Athos, vous êtes le prisonnier du chevalier d’Herblay.

Raoul céda avec répugnance ; mais Aramis, moins scrupuleux que le comte de la Fère, saisit la dépêche avec empressement, la parcourut, et la rendant à Athos :

— Vous, dit-il, qui êtes croyant, lisez et voyez, en y réfléchissant, dans cette lettre quelque chose que la Providence juge important que nous sachions.

Athos prit la lettre tout en fronçant son beau sourcil ; mais l’idée qu’il était question, dans la lettre, de d’Artagnan l’aida à vaincre le dégoût qu’il éprouvait à la lire.