Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/617

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Alors, dit Aramis à l’oreille de son voisin, la paix est faite et les conférences sont inutiles. Il n’y a plus qu’à envoyer sous bonne garde M. Mazarini à la frontière la plus éloignée, et à veiller à ce qu’il ne rentre ni par celle-là, ni par les autres.

— Un instant, monsieur, un instant, dit l’homme de robe auquel Aramis s’adressait. Peste ! comme vous y allez ! On voit bien que vous êtes des hommes d’épée. Il y a le chapitre des rémunérations et des indemnités à mettre au net.

— M. le chancelier, dit la reine en se tournant vers ce même Séguier notre ancienne connaissance, vous ouvrirez les conférences ; elles auront lieu à Rueil. M. le cardinal a dit des choses qui m’ont fort émue. Voilà pourquoi je ne vous réponds pas plus longuement. Quant à ce qui est de rester ou de partir, j’ai trop de reconnaissance à M. le cardinal pour ne pas le laisser en tous points libre de ses actions. M. le cardinal fera ce qu’il voudra.

Une pâleur fugitive nuança le visage intelligent du premier ministre. Il regarda la reine avec inquiétude. Son visage était tellement impassible qu’il en était, comme les autres, à ne pouvoir lire ce qui se passait dans son cœur.

— Mais, ajouta la reine, en attendant la décision de M. de Mazarin, qu’il ne soit, je vous prie, question que du roi.

Les députés s’inclinèrent et sortirent.

— Eh quoi ! dit la reine quand le dernier d’entre eux eut quitté la chambre, vous céderiez à ces robins et à ces avocats !

— Pour le bonheur de Votre Majesté, madame, dit Mazarin en fixant sur la reine son œil perçant, il n’y a point de sacrifice que je ne sois prêt à m’imposer.

Anne baissa la tête et tomba dans une de ces rêveries qui lui étaient si habituelles. Le souvenir d’Athos lui revint à l’esprit. La tournure hardie du gentilhomme, sa parole ferme et digne à la fois, les fantômes qu’il avait évoqués d’un mot, lui rappelaient tout un passé d’une poésie enivrante : la jeunesse, la beauté, l’éclat des amours de vingt ans et les rudes combats de ses soutiens, et la fin sanglante de Buckingham, le seul homme qu’elle eût jamais aimé réellement, et l’héroïsme de ses obscurs défenseurs qui l’avaient sauvée de la double haine de Richelieu et du roi.

Mazarin la regardait, et maintenant qu’elle se croyait seule et qu’elle n’avait plus tout un monde d’ennemis pour l’épier, il suivait ses pensées sur son visage comme on voit dans les lacs transparents passer les nuages, reflets du ciel comme les pensées.

— Il faudrait donc, murmura Anne d’Autriche, céder à l’orage, acheter la paix, attendre patiemment et religieusement des temps meilleurs ?

Mazarin sourit amèrement à cette proposition qui annonçait qu’elle avait pris la proposition du ministre au sérieux. Anne avait la tête inclinée et ne vit pas ce sourire ; mais remarquant que sa demande n’obtenait aucune réponse, elle releva le front.

— Eh bien ! vous ne me répondez point, cardinal ; que pensez-vous ?

— Je pense, madame, que cet insolent gentilhomme que nous avons fait arrêter par Comminges a fait allusion à M. de Buckingham, que vous laissâtes assassiner ; à Mme  de Chevreuse, que vous laissâtes exiler ; à M. de Beaufort que