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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/632

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d’hui comme hier, nous ne serons donc pas un quart d’heure à attendre le plaisir de les voir.

— Le fait est que nous serons un quart d’heure tout au plus.

— Vous avez toujours le bras assez bon, n’est-ce pas, Porthos ?

Porthos déboutonna sa manche, releva sa chemise, et regarda avec complaisance ses bras nerveux, gros comme la cuisse d’un homme ordinaire.

— Mais, oui, dit-il, assez bon.

— De sorte que vous feriez sans trop vous gêner, un cerceau de cette pincette et un tire-bouchon de cette pelle ?

— Certainement, dit Porthos.

— Voyons, dit d’Artagnan.

Le géant prit les deux objets désignés et opéra avec la plus grande facilité et sans aucun effort apparent les deux métamorphoses désignées par son compagnon.

— Voilà, dit-il.

— Magnifique ! dit d’Artagnan, et véritablement vous êtes doué, Porthos.

— J’ai entendu parler, dit Porthos, d’un certain Milon de Crotone qui faisait des choses fort extraordinaires, comme de serrer son front avec une corde et de la faire éclater, de tuer un bœuf d’un coup de poing et de l’emporter chez lui sur ses épaules, d’arrêter un cheval par les pieds de derrière, etc., etc. Je me suis fait raconter toutes ses prouesses là-bas, à Pierrefonds, et j’ai fait tout ce qu’il faisait, excepté de briser une corde en enflant mes tempes.

— C’est que votre force n’est pas dans votre tête, Porthos, dit d’Artagnan.

— Non, elle est dans mes bras et dans mes épaules, répondit naïvement Porthos.

— Eh bien ! mon ami, approchons-nous de la fenêtre et servez-vous de votre force pour desceller un barreau. Attendez que j’éteigne la lampe.

Porthos s’approcha de la fenêtre, prit un barreau à deux mains, s’y cramponna, l’attira vers lui et le fit plier comme un arc, si bien que les deux bouts sortirent de l’alvéole de pierre où depuis trente ans le ciment les tenait scellés.

— Eh bien ! mon ami, dit d’Artagnan, voilà ce que n’aurait jamais pu faire le cardinal, tout homme de génie qu’il est.

— Faut-il en arracher d’autres ? demanda Porthos.

— Non pas, celui-ci nous suffira ; un homme peut passer maintenant.

Porthos essaya et sortit son torse tout entier.

— Oui, dit-il.

— En effet, c’est une assez jolie ouverture. Maintenant, passez votre bras.

— Par où ?

— Par cette ouverture.

— Pourquoi faire ?

— Vous le saurez tout à l’heure. Passez toujours.

Porthos obéit, docile comme un soldat, et passa son bras à travers les barreaux.

— À merveille, dit d’Artagnan.

— Il paraît que cela marche ?

— Sur des roulettes, cher ami.

— Bon. Maintenant que faut-il que je fasse ?

— Rien.

— C’est donc fini ?

— Pas encore.

— Je voudrais cependant bien comprendre, dit Porthos.

— Écoutez, cher ami, et en deux mots vous serez au fait. La porte du poste s’ouvre, comme vous voyez.

— Oui, je vois.

— On va envoyer dans notre cour, que traverse M. de Mazarin pour se rendre à l’orangerie, les deux gardes qui l’accompagnent.

— Les voilà qui sortent.

— Pourvu qu’ils referment la porte du poste ! Bon ! ils la referment.

— Après ?

— Silence ! ils pourraient nous entendre.

— Je ne saurai rien, alors.

— Si fait, car à mesure que vous exécuterez, vous comprendrez.

— Cependant, j’aurais préféré…

— Vous aurez le plaisir de la surprise.

— Tiens, c’est vrai, dit Porthos.

— Chut !