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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/646

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soldats qui encombrent ces cours et composons. Tenez, je vais vous montrer que je suis loyal…

— Bon ! pensa d’Artagnan, tenons-nous bien, il va nous jouer un tour.

— Je vous offrais votre liberté, continua le ministre, je vous l’offre encore. En voulez-vous ? Avant une heure vous serez découverts, arrêtés, forcés de me tuer, ce qui serait un crime horrible et tout à fait indigne de loyaux gentilshommes comme vous.

— Il a raison, pensa Athos.

Et comme toute raison qui passait dans cette âme qui n’avait que de nobles pensées, sa pensée se refléta dans ses yeux.

— Aussi, dit d’Artagnan pour corriger l’espoir que l’adhésion tacite d’Athos avait donné à Mazarin, ne nous porterons-nous à cette violence qu’à la dernière extrémité.

— Si au contraire, continua Mazarin, vous me laissez aller en acceptant votre liberté…

— Comment, interrompit d’Artagnan, voulez-vous que nous acceptions notre liberté, puisque vous pouvez nous la reprendre, vous le dites vous-même, cinq minutes après nous l’avoir donnée ? Et, ajouta d’Artagnan, tel que je vous connais, monseigneur, vous nous la reprendrez.

— Non, foi de cardinal !… Vous ne me croyez pas ?

— Monseigneur, je ne crois pas aux cardinaux qui ne sont pas prêtres.

— Eh bien ! foi de ministre !

— Vous ne l’êtes plus, monseigneur, vous êtes prisonnier.

— Alors, foi de Mazarin ! Je le suis et le serai toujours, je l’espère.

— Hum ! fit d’Artagnan ; j’ai entendu parler d’un Mazarin qui avait peu de religion pour ses serments, et j’ai peur que ce ne soit un des ancêtres de Votre Éminence.

— Monsieur d’Artagnan, dit Mazarin, vous avez beaucoup d’esprit, et je suis tout à fait fâché de m’être brouillé avec vous.

— Monseigneur, raccommodons-nous, je ne demande pas mieux.

— Eh bien ! dit Mazarin, si je vous mets en sûreté d’une façon évidente, palpable ?…

— Ah ! c’est autre chose, dit Porthos.

— Voyons, dit Athos.

— Voyons, dit d’Artagnan.

— D’abord, acceptez-vous ? demanda le cardinal.

— Expliquez-nous votre plan, monseigneur, et nous verrons.

— Faites attention que vous êtes enfermés, pris.

— Vous savez bien, monseigneur, dit d’Artagnan, qu’il nous reste toujours une dernière ressource.

— Laquelle ?

— Celle de mourir ensemble.

Mazarin frissonna.

— Tenez, dit-il. Au bout du corridor est une porte dont j’ai la clé ; cette porte donne dans le parc. Partez avec cette clef. Vous êtes alertes, vous êtes vigoureux, vous êtes armés. À cent pas, en tournant à gauche, vous rencontrerez le mur du parc ; vous le franchirez, et en trois bonds vous serez sur la route et libres. Maintenant je vous connais assez pour savoir que si l’on vous attaque, ce ne sera point un obstacle à votre fuite.

— Ah ! pardieu ! monseigneur, dit d’Artagnan, à la bonne heure, voilà qui est parlé. Où est cette clé que vous voulez bien nous offrir ?

— La voici.

— Ah ! monseigneur, dit d’Artagnan, vous nous conduirez bien vous-même jusqu’à cette porte ?

— Très volontiers, dit le ministre, s’il vous faut cela pour vous tranquilliser.

Mazarin, qui n’espérait pas en être quitte à si bon marché, se dirigea tout radieux vers le corridor et ouvrit la porte. Elle donnait bien sur le parc, et les