Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/657

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sonne et avait patiemment frayé son passage au milieu de tout ce déménagement. Puis il était arrivé au corridor, dont il avait trouvé toutes les portes ouvertes. Il en était de même de la porte de la chambre d’Athos et de celle du parc. Arrivé là, il lui fut facile de suivre les pas sur la neige. Il vit que ces pas aboutissaient au mur ; de l’autre côté il retrouva la même trace, puis des piétinements de chevaux, puis les vestiges d’une troupe de cavalerie tout entière qui s’était éloignée dans la direction d’Enghien. Dès lors il n’avait plus conservé aucun doute que le cardinal eût été enlevé par les trois prisonniers, puisque les prisonniers étaient disparus avec lui, et il avait couru à Saint-Germain pour prévenir de cette disparition la reine.

Anne d’Autriche lui avait recommandé le silence, et Bernouin l’avait scrupuleusement gardé ; seulement elle avait fait venir M. le Prince, auquel elle avait tout dit, et M. le Prince avait aussitôt mis en campagne cinq ou six cents cavaliers, avec ordre de fouiller tous les environs et de ramener à Saint-Germain toute troupe suspecte et qui s’éloignerait de Rueil dans quelque direction que ce fût.

Or, comme d’Artagnan ne formait pas une troupe puisqu’il était seul, puisqu’il ne s’éloignait pas de Rueil, puisqu’il allait à Saint-Germain, personne ne fit attention à lui, et son voyage ne fut aucunement entravé.

En entrant dans la cour du vieux château, la première personne que vit notre ambassadeur fut maître Bernouin en personne, qui, debout sur le seuil, attendait des nouvelles de son maître disparu.

À la vue de d’Artagnan, qui entrait à cheval dans la cour d’honneur, Bernouin se frotta les yeux et crut se tromper. Mais d’Artagnan lui fit de la tête un petit signe amical, mit pied à terre, et, jetant la bride de son cheval au bras d’un laquais qui passait, il s’avança vers le valet de chambre, qu’il aborda le sourire sur les lèvres.

— Monsieur d’Artagnan ! s’écria celui-ci, pareil à un homme qui a le cauchemar et qui parle en dormant ; monsieur d’Artagnan !

— Lui-même, monsieur Bernouin.

— Et que venez-vous faire ici ?

— Apporter des nouvelles de M. de Mazarin, et des plus fraîches même.

— Qu’est-il donc devenu ?

— Il se porte comme vous et moi.

— Il ne lui est donc rien arrivé de fâcheux ?

— Rien absolument. Il a seulement éprouvé le besoin de faire une course dans l’Île-de-France, et nous a priés, M. le comte de la Fère, M. du Vallon et moi, de l’accompagner. Nous étions trop ses serviteurs pour lui refuser une pareille demande. Nous sommes partis hier soir et me voilà.

— Vous voilà !

— Son Éminence avait quelque chose à faire dire à Sa Majesté, quelque chose de secret et d’intime, une mission qui ne pouvait être confiée qu’à un homme sûr, de sorte qu’elle m’a envoyé à Saint-Germain. Ainsi donc, mon cher monsieur Bernouin, si vous voulez faire quelque chose qui soit agréable à votre maître, prévenez Sa Majesté que j’arrive et dites-lui dans quel but.

Qu’il parlât sérieusement ou que son discours ne fût qu’une plaisanterie, comme il était évident que d’Artagnan était, dans les circonstances présentes, le seul homme qui pût tirer Anne d’Autriche d’inquiétude, Bernouin ne fit aucune difficulté d’aller la prévenir de cette singulière ambassade, et comme il l’avait prévu, la reine lui donna l’ordre d’introduire à l’instant même M. d’Artagnan.