Aller au contenu

Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/665

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Madame de Longueville fut persuadée. Elle était si bien convaincue du pouvoir de ses beaux yeux, la frondeuse duchesse, qu’elle ne douta point de leur influence, même sur M. de Condé, et la chronique scandaleuse du temps dit qu’elle n’avait pas trop présumé.

Athos, en quittant Aramis à la place Royale, s’était rendu chez Mme de Chevreuse. C’était encore une frondeuse à persuader, mais celle-ci était plus difficile à convaincre que sa jeune rivale ; il n’avait été stipulé aucune condition en sa faveur. M. de Chevreuse n’était nommé gouverneur d’aucune province, et si la reine consentait à être marraine, ce ne pouvait être que de son petit-fils ou de sa petite-fille.

Aussi, au premier mot de la paix, Mme de Chevreuse fronça-t-elle le sourcil, et malgré toute la logique d’Athos pour lui montrer qu’une plus longue guerre était impossible, elle insista en faveur des hostilités.

— Belle amie, dit Athos, permettez-moi de vous dire que tout le monde est las de la guerre ; qu’excepté vous et M. le coadjuteur peut-être, tout le monde désire la paix. Voulez-vous vous faire exiler comme du temps du roi Louis XIII ? Croyez-moi, nous avons passé l’âge des succès en intrigue, et vos beaux yeux ne sont pas destinés à s’éteindre en pleurant Paris, où il y aura toujours deux reines tant que vous y serez.

— Oh ! dit la duchesse, je ne puis faire la guerre toute seule, mais je puis me venger de cette reine ingrate et de cet ambitieux favori, et… foi de duchesse ! je me vengerai.

— Madame, dit Athos, je vous en supplie, ne faites pas un avenir mauvais à M. de Bragelonne ; le voilà lancé, M. le Prince lui veut du bien, il est jeune, laissons un jeune roi s’établir. Hélas ! excusez ma faiblesse, madame ; il vient un moment où l’homme revit et rajeunit dans ses enfants.

La duchesse sourit, moitié tendrement, moitié ironiquement.

— Comte, dit-elle, vous êtes, j’en ai bien peur, gagné au parti de la cour. N’avez-vous pas quelque cordon bleu dans votre poche ?

— Oui, madame, dit Athos, j’ai celui de la Jarretière, que le roi Charles Ier, m’a donné quelques jours avant sa mort.

Le comte disait vrai ; il ignorait la demande de Porthos et ne savait pas qu’il en eût un autre que celui-là.

— Allons ! il faut devenir vieille femme, dit la duchesse rêveuse.

Athos lui prit la main et la lui baisa. Elle soupira en le regardant.

— Comte, dit-elle, ce doit être une charmante habitation que Bragelonne. Vous êtes homme de goût ; vous devez avoir de l’eau, des bois, des fleurs.

Elle soupira de nouveau, et elle appuya sa tête charmante sur sa main coquettement recourbée et toujours admirable de forme et de blancheur.

— Madame, répliqua le comte, que disiez-vous donc tout à l’heure ? Jamais je ne vous ai vue si jeune, jamais je ne vous ai vue plus belle.

La duchesse secoua la tête.

— M. de Bragelonne reste-t-il à Paris ? dit-elle.

— Qu’en pensez-vous ? demanda Athos.

— Laissez-le-moi, reprit la duchesse.

— Non pas, madame. Si vous avez oublié l’histoire d’Œdipe, moi, je m’en souviens.

— En vérité, vous êtes charmant, comte, et j’aimerais à vivre un mois à Bragelonne.

— N’avez-vous pas peur de me faire bien des envieux, duchesse ? répondit galamment