Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/673

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Venez d’Artagnan, dit Porthos, quittez l’épée et venez avec moi à Pierrefonds, à Bracieux ou au Vallon ; nous vieillirons ensemble en parlant de nos compagnons.

— Non pas, dit d’Artagnan. Peste ! on va ouvrir la campagne, et je veux en être ; j’espère bien y gagner quelque chose !

— Et qu’espérez-vous donc devenir ?

— Maréchal de France, pardieu !

— Ah ! ah ! fit Porthos en regardant d’Artagnan, aux gasconnades duquel il n’avait jamais pu se faire entièrement.

— Venez avec moi, Porthos, dit d’Artagnan : je vous ferai duc.

— Non, dit Porthos, Mouston ne veut plus faire la guerre. D’ailleurs on m’a ménagé une entrée solennelle chez moi, qui fera crever de dépit tous mes voisins.

— À ceci je n’ai rien à répondre, dit d’Artagnan, qui connaissait la vanité du nouveau baron. Au revoir donc, mon ami.

— Au revoir, cher capitaine, dit Porthos. Vous savez que lorsque vous me voudrez venir voir, vous serez toujours le bienvenu dans ma baronnie.

— Oui, dit d’Artagnan, au retour de la campagne, j’irai.

— Les équipages de M. le baron attendent, dit Mousqueton.

Et les deux amis se séparèrent après s’être serré la main. D’Artagnan resta sur la porte, suivant d’un œil mélancolique Porthos qui s’éloignait… Mais au bout de vingt pas, Porthos s’arrêta tout court, se frappa le front et revint.

— Je me rappelle, dit-il.

— Quoi ? demanda d’Artagnan.

— Quel est ce mendiant que j’ai tué.

— Ah vraiment ! qui est-ce ?

— C’est cette canaille de Bonacieux.

Et Porthos, enchanté d’avoir l’esprit libre, rejoignit Mouston, avec lequel il disparut au coin de la rue.

D’Artagnan demeura un instant immobile et pensif ; puis, en se retournant il aperçut la belle Madeleine, qui, inquiète des nouvelles grandeurs de d’Artagnan, se tenait debout sur le seuil de la porte.

— Madeleine, dit le Gascon, donnez-moi l’appartement du premier ; je suis obligé de représenter, maintenant que je suis capitaine des mousquetaires. Mais gardez-moi toujours ma chambre du cinquième : on ne sait pas ce qui peut arriver.


FIN.