Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/70

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

connaissez le mot il faut ; avec ce mot-là on fait bien des choses.

— Et quand vous mettez-vous à leur recherche ?

— J’y suis.

— Bonne chance !

— Et vous bon voyage !

— Peut-être nous rencontrerons-nous par les chemins.

— Ce n’est pas probable.

— Qui sait ! le hasard est si capricieux.

— Adieu.

— Au revoir. À propos, si le Mazarin vous parle de moi, dites-lui que je vous ai chargé de lui faire savoir qu’il verrait avant peu si je suis, comme il le dit, trop vieux pour l’action.

Et Rochefort s’éloigna avec un de ces sourires diaboliques qui autrefois avaient si souvent fait frissonner d’Artagnan ; mais d’Artagnan le regarda cette fois sans angoisse ; et souriant à son tour avec une expression de mélancolie que ce souvenir, seul peut-être, pouvait donner à son visage :

— Va, démon, dit-il, et fais ce que tu voudras, peu m’importe : il n’y a pas une seconde Constance au monde !

En se retournant, d’Artagnan vit Bazin qui, après avoir déposé ses habits ecclésiastiques, causait avec le sacristain à qui lui d’Artagnan avait parlé en entrant dans l’église. Bazin paraissait fort animé et faisait avec ses gros petits bras courts force gestes. D’Artagnan comprit que, selon toute probabilité, il lui recommandait la plus grande discrétion à son égard.

D’Artagnan profita de la préoccupation des deux hommes d’Église pour se glisser hors de la cathédrale et aller s’embusquer au coin de la rue des Canettes. Bazin ne pouvait, du point où était caché d’Artagnan, sortir sans qu’on le vît.

Cinq minutes après, d’Artagnan étant à son poste, Bazin apparut sur le parvis ; il regarda de tous côtés pour s’assurer s’il n’était pas observé, mais il n’avait garde d’apercevoir notre officier, dont la tête seule passait à l’angle d’une maison, à cinquante pas de là. Tranquillisé par les apparences, il se hasarda dans la rue Notre-Dame. D’Artagnan s’élança de sa cachette et arriva à temps pour lui voir tourner la rue de la Juiverie et entrer, rue de la Calandre, dans une maison d’honnête apparence. Aussi notre officier ne douta point que ce ne fût dans cette maison que logeait le digne bedeau.

D’Artagnan n’avait garde d’aller s’informer à cette maison ; le concierge, s’il y en avait un, devait déjà être prévenu, et s’il n’y en avait point, à qui s’adresserait-il ?

Il entra dans un petit cabaret qui faisait le coin de la rue Saint-Éloi et de la rue de la Calandre et demanda une mesure d’hypocras. Cette boisson demandait une bonne demi-heure de préparation ; d’Artagnan avait tout le temps d’épier Bazin sans éveiller aucun soupçon.

Il avisa dans l’établissement un petit drôle de douze à quinze ans, à l’air éveillé, qu’il crut reconnaître pour l’avoir vu vingt minutes auparavant sous l’habit d’enfant de chœur. Il l’interrogea, et comme l’apprenti sous-diacre n’avait aucun intérêt à dissimuler, d’Artagnan apprit de lui qu’il exerçait de six à neuf heures du matin la profession d’enfant de chœur, et de neuf heures à minuit celle de garçon de cabaret.

Pendant qu’il causait avec l’enfant, on amena un cheval à la porte de la maison de Bazin. Le cheval était tout sellé et bridé. Un instant après, Bazin descendit.

— Tiens ! dit l’enfant, voilà notre bedeau qui va se mettre en route.

— Et où