Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/99

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qui avaient survécu dans le plus profond de son cœur au désenchantement de ses jeunes années.

— Et vous, manants, continua Mousqueton, demeurez près de M. le comte d’Artagnan, et faites-lui honneur de votre mieux, tandis que je vais prévenir Monseigneur de son arrivée.

Et remontant, aidé de deux âmes charitables, sur son robuste cheval, tandis que Planchet, plus ingambe, remontait tout seul sur le sien, Mousqueton prit sur le gazon de l’avenue un petit galop qui témoignait encore plus en faveur des reins que des jambes du quadrupède.

— Ah çà ! mais voilà qui s’annonce bien ! dit d’Artagnan ; pas de mystères, pas de manteau, pas de politique par ici ; on rit à gorge déployée, on pleure de joie, je ne vois que des visages larges d’une aune ; en vérité, il me semble que la nature elle-même est en fête, que les arbres, au lieu de feuilles et de fleurs, sont couverts de petits rubans verts et roses.

— Et moi, dit Planchet, il me semble que je sens d’ici la plus délectable odeur de rôti, que je vois des marmitons se ranger en haie pour nous voir passer. Ah ! monsieur, quel cuisinier doit avoir M. de Pierrefonds, lui qui aimait déjà tant et si bien manger quand il ne s’appelait encore que M. Porthos.

— Halte-là ! dit d’Artagnan ; tu me fais peur. Si la réalité répond aux apparences, je suis perdu. Un homme si heureux ne sortira jamais de son bonheur, et je vais échouer près de lui comme j’ai échoué près d’Aramis.