Page:Dumas fils - La Dame aux camélias, 1852.djvu/257

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l’avenir que vous donne son passé, on est toujours plus ou moins jaloux. Si vous avez été amoureux, sérieusement amoureux, vous avez dû éprouver ce besoin d’isoler du monde l’être dans lequel vous vouliez vivre tout entier. Il semble que, si indifférente qu’elle soit à ce qui l’entoure, la femme aimée perde de son parfum et de son unité au contact des hommes et des choses. Moi, j’éprouvais cela bien plus que tout autre. Mon amour n’était pas un amour ordinaire ; j’étais amoureux autant qu’une créature ordinaire peut l’être, mais de Marguerite Gautier, c’est-à-dire qu’à Paris, à chaque pas, je pouvais coudoyer un homme qui avait été l’amant de cette femme ou qui le serait le lendemain.

Tandis qu’à la campagne, au milieu de gens que nous n’avions jamais vus et qui ne s’occupaient pas de nous, au sein d’une nature toute parée de son printemps, ce pardon annuel, et séparée du bruit de la ville, je pouvais cacher mon amour et aimer sans honte et sans crainte.

La courtisane y disparaissait peu à peu. J’avais auprès de moi une femme jeune, belle, que j’aimais, dont j’étais aimé et qui s’appelait Marguerite : le passé n’avait plus de formes, l’avenir plus de nuages. Le soleil éclairait ma maîtresse comme il eût éclairé la