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eût dit une figurine de saxe. En 1844, lorsque je la vis pour la première fois, elle s’épanouissait dans toute son opulence et dans toute sa beauté. Elle mourut en 1847, d’une maladie de poitrine, à l’âge de vingt-trois ans.

Elle fut une des dernières et des seules courtisanes qui eurent du cœur. C’est sans doute pour ce motif qu’elle est morte si jeune. Elle ne manquait ni d’esprit ni de désintéressement. Elle a fini pauvre dans un appartement somptueux, saisi par ses créanciers. Elle possédait une distinction native, s’habillait avec goût, marchait avec grâce, presque avec noblesse. On la prenait quelquefois pour une femme du monde. — Aujourd’hui, on s’y tromperait continuellement. Elle avait été fille de ferme. Théophile Gautier lui consacra quelques lignes d’oraison funèbre, à travers lesquelles on voyait s’évaporer dans le bleu cette aimable petite âme que devait, comme quelques autres, immortaliser le péché d’amour.

Cependant, Marie Duplessis n’a pas eu toutes les aventures pathétiques que je prête à Marguerite Gautier, mais elle ne demandait qu’à les avoir. Si elle n’a rien sacrifié à Armand, c’est qu’Armand ne l’a pas voulu. Elle n’a pu jouer, à son grand regret, que le premier et le deuxième acte de la pièce. Elle les recommençait toujours, comme Pénélope sa toile : seulement, c’était le jour que se défaisait ce qu’elle avait commencé la nuit. Elle n’a jamais, non plus, de son vivant, été appelée la Dame aux Camélias. Le surnom que j’ai donné à Marguerite est de pure invention. Cependant, il est revenu à Marie Duplessis par ricochet, lorsque le roman a paru, un an après sa mort. Si, au cimetière Montmartre, vous demandez à voir le tombeau de la Dame aux Camélias, le gardien vous conduira à un petit monument carré qui porte sous ces mots : Alphonsine Plessis, une couronne de camélias blancs artificiels, scellée au marbre, dans un écrin de verre. Cette tombe a maintenant sa légende. L’art est divin ; il crée ou ressuscite.

Ce drame, écrit en 1849, fut présenté d’abord et reçu