Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/18

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inventée, nous voulons mettre en scène un aventurier quelconque de l’un ou l’autre sexe, un coquin titré ou une drôlesse en de : que fait la censure ? Elle arrête la pièce. « C’est impossible ! crie-t-elle et crie-t-elle très haut : on dira que c’est M. X*** ou madame Z***. » Et elle nomme deux gros personnages. La chose s’ébruite. L’auteur proteste. Les journaux font des sous-entendus. Le public s’intéresse, et prend parti. Vous ne trouvez pas ça déjà très amusant : un gouvernement qui paye quelques personnes pour nous renseigner, nous auteurs dramatiques, sur les concussions, les secrets et les tares des hautes classes, pour nous fournir des sujets de pièces à venir sur nos contemporains les plus glorifiés, ce n’est donc pas là du bon comique ? Enfin la pièce est rendue, grâce à quelques modifications toujours insignifiantes, quelquefois utiles. La foule se précipite. Le bureau de location ne désemplit pas ; — tout le monde veut voir les coquins en question, qui n’existent le plus souvent que dans l’imagination des censeurs trop zélés. La jeunesse, qui est toujours pour le mouvement, le bruit et le progrès, se déclare pour vous ; votre parti vous acclame, votre fortune est faite. Et vous voulez la mort de cette amie-là ? On vous tire un coup de fusil, le fusil crève parce qu’il est mauvais, il emporte le nez de celui qui vous visait, et vous ne pouffez pas de rire ? Qu’est donc devenue la bonne gaieté française, celle de Rabelais, de Lesage, de Voltaire, et de quoi la nourrirez-vous, si ce n’est de la bêtise des grands ? Non, non, non ; respectons la censure ; mettons-la dans du coton ; c’est une fausse ennemie. Si elle nuit à quelqu’un, ce n’est pas à nous. Elle n’existerait pas qu’il faudrait l’inventer. Nous avons le droit de crier contre elle, ce qui est excellent pour les poumons français, qui ont besoin de cet exercice ; mais, au fond, elle fait mieux nos affaires que nous ne les ferions nous-mêmes. Elle nous garantit. Une fois qu’elle a donné son visa, qu’elle finit toujours par donner, quelle sécurité ! Comme nous dormons sur nos deux oreilles ! La censure a permis la pièce, donc