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Page:Dumas fils - Théâtre complet, 1898 - Tome I.djvu/25

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et la société l’accueille à bras ouverts, femme et veuve.

Un homme, c’est-à-dire un être fort, créé pour protéger, secourir, travailler, issu de grande famille, mais pauvre, au lieu d’embrasser une carrière quelconque qui lui donnerait un pain honorable, troque son nom, son titre et ses armes contre la fille ou plutôt contre la fortune d’un cabaretier quelconque, enrichi dans la vente et la sophistication des alcools ! Ce gentilhomme a fait une bonne affaire et personne ne lui dit rien.

En bonne conscience, les trois personnes se valent, et je ne vois pas où les deux autres prendraient le droit de mépriser la première.

Maintenant, supposez que la fille qui s’est vendue, au lieu de se vendre, ait résisté aux tentations, qu’elle soit demeurée honnête, qu’elle ait travaillé dans un magasin et se soit contentée de trente sous par jour, vivant, elle et sa mère, de pain, de pommes de terre, d’un peu de charcuterie et d’eau.

C’est héroïque, n’est-ce pas ? Vous connaissez ce sacrifice, vous, madame ***, et vous avez un fils qui l’aime, cette fille. De cette fille, ferez-vous votre bru ? Non. Vous n’avez pas de fils, vous ne courez donc aucun danger, mais vous êtes une femme du monde ; cette fille, la ferez-vous asseoir à votre table ? de cette fille, qui vous est supérieure puisqu’elle lutte et triomphe, ferez-vous votre amie, votre égale seulement ? Non. Qu’est-ce qu’elle gagne donc à rester honnête ? L’estime d’elle-même, soit, et l’hôpital, au bout de quinze jours de chômage, ou, de guerre lasse, un ouvrier qui l’épouse, se grise et la bat. Supposons, puisque nous sommes dans les hypothèses, que cet ouvrier, au lieu de se griser et de la battre, soit intelligent, fasse fortune, qu’il lui naisse une fille de cette femme et qu’il donne à cette fille un million de dot, sans compter les espérances. Lui donnerez-vous votre fils, à cette riche prolétaire ? Répondez, chère madame *** ? Parfaitement. L’argent est donc la bonne raison pour vous. Eh bien, pourquoi ne voulez-vous pas qu’il soit une bonne raison pour cette créature sans