Page:Dunan - Eros et Psyché, 1928.djvu/236

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entre deux rives d’un vert cru et délicat. Au loin, les prairies s’étendaient avec leurs clôtures d’une couleur noirâtre, où les arbres élançaient parfois des tiges étamées terminées par des houppes feuillues. Des pêcheurs, sur des bateaux amarrés en plein courant faisaient des silhouettes hiératiques. On voyait en un geste lent et majestueux les bras lancer la grande gaule au bout de laquelle filait un mince rayon blanc.

De temps à autre le bras soulevait le fil et tendait l’extrémité du bambou, qui inscrivait dans l’air calme une hyperbole parfaite. Puis une masse frétillante et étincelante s’agitait au soleil, un poisson vaincu par l’homme.

Jean songea que les êtres sont tous, devant des forces qui les dominent, comme ce poisson devant le pêcheur. Et entre tant de forces despotiques et invincibles… l’amour…

Il voyait le corps nu de Lucienne telle qu’elle était sortie de son lit le dimanche précédent, à la venue d’Angèle. Un trouble cuisant et délicieux coulait en lui. Il songeait : « Ce soir… »

Il rentra enfin. Maintenant allait commencer la chose terrible : l’attaque du coffre de son père.

Lorsqu’il y pensa, Jean sentit encore au fond de lui-même un frisson épouvanté ; mais un frisson timide et minime, vaincu d’avance.