Page:Dunant - Un souvenir de Solférino, 1862.djvu/12

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mité, celui qui n’a plus d’armes saisit à la gorge son adversaire qu’il déchire avec ses dents.

Là c’est une lutte semblable, mais qui devient plus effrayante par l’approche d’un escadron de cavalerie, il passe au galop : les chevaux écrasent sous leurs pieds ferrés les morts et les mourants ; un pauvre blessé a la mâchoire emportée, un autre la tête écrasée, un troisième qu’on eût pu sauver, a la poitrine enfoncée. Aux hennissements des chevaux se mêlent des vociférations, des cris de rage et des hurlements de douleur et de désespoir.

Plus loin c’est l’artillerie lancée à fond de train et qui suit la cavalerie ; elle se fraie un passage à travers les cadavres et les blessés gisant indistinctement sur le sol : alors les cervelles jaillissent, les membres sont brisés et broyés, les corps rendus méconnaissables, la terre s’abreuve littéralement de sang, et la plaine est jonchée de débris humains.


Les troupes françaises gravissent les mamelons et escaladent avec la plus fougueuse ardeur les collines escarpées et les pentes rocheuses sous la fusillade autrichienne et les éclats des bombes et de la mitraille. À peine un mamelon est-il pris, et quelques compagnies d’élite ont-elles pu parvenir à son sommet, abîmées de fatigue et baignées de sueur, que tombant comme une avalanche sur les Autrichiens, elles les culbutent, les chassent d’un nouveau poste, les refoulent et les poursuivent jusque dans le fond des ravins et des fossés.