Page:Duplessis - Le Batteur d'estrade, 3, 1856.djvu/40

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prouvé et fait resplendir la toute-puissance de Dieu sur la terre !…

L’heure du dîner donna un témoin au bonheur des deux amants, Panocha, revêtu de son brillant costume de Figaro ; le Mexicain se savait vaincu ; il ne combattait plus que pour la gloire. Hélas ! l’infortuné ne se doutait pas de la pénible épreuve qui lui était réservée !

— Señor Andrès, lui dit M. d’Ambron, je vais avoir recours à votre obligeance. Il faudrait vous mettre en route ce soir même pour Guaymas !…

— Vous avez une mission à me confier, seigneur comte ?

— Oui, Andrès, j’ai un service à vous demander ! Ne connaissez-vous point un prêtre à Guaymas ?

— Un prêtre ?… Oui, seigneurie. Il y a justement un padre de Tepic qui est venu se fixer dernièrement à Guaymas, quoique cette ville ne possède plus d’église….

— Pensez-vous que cet ecclésiastique consentirait à vous accompagner à la Ventana ?

— Oui, si on l’indemnisait pour ce dérangement.

— Cela va sans dire, Andrès. Eh bien, je me fie à votre, zèle et à votre complaisance pour amener demain ce prêtre. Mais qu’avez-vous donc, Andrès ? vous semblez tout préoccupé… Vous ne m’écoutez plus.

— Je vous demande pardon de ma distraction, seigneur comte. Du reste, la faute en est à vous.

— À moi ?

— Ou du moins, seigneurie, à votre chaîne de montre. Je ne saurais vous exprimer combien je vous trouve heureux de posséder un tel bijou. Depuis que vous êtes au rancho, je ne fais qu’y penser le jour et y rêver la nuit. Avoir une montre qui marche, a toujours été l’idée fixe de ma vie. Il est probable que je mourrai sans avoir vu mon désir se réaliser.

— J’en doute, Andrès !

— Pourquoi donc, seigneurie ?

M. d’Ambron dégrafa sa chaîne, et la présentant avec la montre à Panocha :

— Parce que ceci est à vous, répondit-il.

Panocha devint jaune de joie, et, saisissant avec empressement le magnifique cadeau qui lui était si généreusement offert :

— Cette montre joue-t-elle de la musique ? dit-il.

— Hélas, non, Andrès !

— J’avais cru que, comme vous étiez comte… Enfin, n’importe !… Elle sonne au moins les heures ?…

— Oui, elle est à répétition.

Panocha fut un peu consolé.

— Ainsi, Andrès, reprit M. d’Ambron, vous partirez ce soir ?

— Mon Dieu ! seigneurie, répondit l’hidalgo d’un air embarrassé, ce serait, certes, avec un bien grand plaisir s’il s’agissait d’aller partout ailleurs qu’à Guaymas ; mais le séjour de cette ville ne m’est pas permis en ce moment-ci.

— Ah !… et pourquoi ?

— Parce que j’y ai contracté, lors de mon dernier voyage, une dette d’honneur !… une dette de jeu !… or, votre seigneurie n’ignore pas qu’entre caballeros…

— À combien s’élève cette dette ? interrompit M. d’Ambron.

— À cinquante piastres !

— Les voici !… Vous pouvez monter à cheval.

Depuis que Panocha avait perdu jusqu’à la dernière des ridicules espérances qu’il avait pu concevoir sur Antonia, il avait cessé d’être hildalgo pour redevenir Mexicain ; il exploitait donc sa position de rival malheureux.

Le départ de l’illustre don Andrès rendit M. d’Ambron et sa fiancée à leur douce intimité.

— Antonia, dit le comte, à présent que, bien persuadée que vos craintes étaient seulement de généreuses chimères, vous avez retrouvé le calme de l’esprit et du cœur, laissez-moi vous demander quel est ce grand secret que vous n’avez pas jugé à propos de me confier encore… Je ne vous dissimulerai pas que vous avez vivement excité ma curiosité.

Cette question rendit la jeune fille toute triste et soucieuse.

— Luis, répondit-elle, j’ai juré de ne révéler ce secret qu’à mon mari !…

— Eh bien ! Dieu n’a-t-il pas déjà reçu nos serments ?

— C’est vrai. Rien ne saurait plus nous séparer, murmura Antonia avec l’expression d’une joie ineffable. Luis, venez avec moi…

— Où me conduisez-vous, Antonia ?

— Dans la chambre qu’habitait autrefois celle que l’on nommait ma mère !…

— Que l’on nommait votre mère, dites-vous, Antonia ? répéta M. d’Ambron. Quoi ! cette infortunée massacrée par les Apaches !…

— Était seulement ma nourrice !

— Mais votre mère, qui donc était-elle ?

— Je ne l’ai jamais connue, et ce que l’on m’a appris d’elle se réduit à bien peu de chose : qu’elle était bonne comme une sainte, belle comme la Vierge, et qu’elle est morte toute jeune, martyre d’un amour malheureux !…

Antonia, en parlant ainsi, était arrivée devant la porte de sa chambre ; ce fut après une courte hésitation, dont elle ne s’aperçut pas elle-même, que, suivie par M. d’Ambron, elle en franchit le seuil. Cette pièce, quoique assez simplement meublée, présentait un coup d’œil charmant : une petite bibliothèque soigneusement entretenue, des bouquets de fleurs composés avec une rare entente des couleurs, un petit lit caché par les flots de mousseline blanche comme la neige, d’un ample moustiquaire, telles étaient, avec un fin tapis de paille aux nuances gaies et vives qui recouvrait le parquet, les principaux ornements de la chambre d’Antonia.

Il régnait toutefois dans cet humble et modeste réduit, dont la méticuleuse propreté réjouissait l’œil, comme un parfum de jeunesse, de poésie et de vertu d’un effet que n’aurait pu produire la vue des plus somptueuses inventions de l’industrie moderne. Un froid sceptique, en pénétrant dans cet asile, se serait senti en même temps recueilli et ému.

La jeune fille, après avoir rapidement traversé sa chambre, avait ouvert une porte étroite, solidement construite et percée dans la muraille, cette même porte dont Panocha avait parlé à Grandjean, et que les Apaches n’avaient pu renverser ; puis elle était passée dans ce que les serviteurs de la Ventana appelaient son retiro.

Ce retiro était une pièce d’environ quinze pieds de long