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combat ne pouvait se mettre en doute, Je me promis de l’arrêter dès que l’honneur serait à moitié satisfait, c’est-à-dire dès la première goutte de sang.

Scévola avait l’air radieux : il posait.

— Michaud, dit-il à son adversaire, je ne veux pas te toucher sans que tu saches au moins quelle est la botte qui te tue !… Je choisirai, en souvenir de notre ancienne amitié, le coup le plus facile à parer… Ce qu’on appelle une, deux…

— Que faire, citoyen ? me demanda Michaud.,

— Parez tierce et quarte, c’est-à-dire à gauche ou droite, et vice versa, selon que l’on vous attaquera en dedans ou en dehors des armes, et ripostez dès que vous aurez rencontré le fer de votre adversaire, lui dis-je.

— Parbleu ! s’écria Scéyola en riant aux éclats, voici un singulier duel ! J’aime cette façon de causer avec ses témoins et de leur demander conseil : c’est neuf ; n’importe ! Ce que j’ai dit, je le ferai. Attention à la botte, brave Michaud. Une, deux !…

Le spadassin se fendit alors en exécutant le mouvement annoncé, et l’infortuné Michaud, poussant un cri déchirant, tomba par terre. L’épée de son adversaire lui avait traversé le corps.

Je me précipitai aussitôt vers l’infortuné drapier et le soulevant dans mes bras, j’essayai d’étancher le sang qui coulait de sa blessure ! Hélas ! à la pâleur mortelle répandue sur son visage, à un léger filet d’écume ensanglantée qui se montrait aux coins de ses lèvres, je compris que mes soins, eu égard à la gravité de la blessure, seraient impuissants, et qu’un chirurgien seul pouvait le sauver, en supposant toutefois que les organes essentiels n’eussent pas été atteints !

— Allons, du courage, mon brave Michaud, lui dis-je, cela ne sera rien.

— Merci, monsieur, de vos encouragements, me répondit-il d’une voix entrecoupée, — mais je sens que je m’en vais… Après tout, j’aime mieux mourir dans mon lit que sur l’échafaud… Je croyais aussi qu’un coup d’épée faisait plus de mal que cela… C’est une chose si terrible à voir qu’une épée nue ! Je vous assure que je ne souffre pas trop… Une seule idée me tourmente…

— Laquelle, mon cher monsieur ?

— C’est que si ma femme ne me voit pas revenir pour l’heure du souper, elle s’inquiétera d’abord et se mettra ensuite en colère. Ne vous serait-il pas possible de me reconduire tout de suite chez moi ?

Comme le combat s’était passé derrière une des portes de la ville et que la distance à parcourir pour arriver au magasin du drapier n’était pas très-considérable, je résolus, avec l’aide de son ami le mercier Fontaine, de le transporter sur-le-champ à sa maison.

Ce dernier, depuis que l’infortuné Michaud avait reçu le coup fatal, semblait changé en statue. Droit, immobile, les yeux démesurément ouverts et le front plissé, il présentait dans toute sa personne l’image d’un anéantissement complet.

Je l’appelai trois fois de suite sans qu’il parût m’entendre.

— Fontaine, murmura alors Michaud d’une voix faible et presque inintelligible : ne veux-tu pas venir à mon secours… On dirait vraiment que tu ne ressens aucune peine de mon malheur… ce n’est pas bien…

À ces paroles de son ami, le mercier sembla se réveiller comme s’il sortait d’un songe.

— Tu m’appelles, Michaud, s’écria-t-il en passant sa main sur ses yeux, sois tranquille, le moment est venu, tu vas voir.

Fontaine s’approcha alors lentement de Scévola, qui, depuis son triomphe, n’avait cessé de ricaner d’une façon indécente avec ses témoins qui ne lui répondaient pas, et d’essuyer son épée, quoiqu’elle ne présentât plus aucune trace de sang.

Arrivé tout contre lui, il le fixa d’un air farouche et qui contrastait étrangement avec sa physionomie habituelle, c’est-à-dire un peu candide et complètement dénuée d’énergie ; puis d’une voix qui annonçait un orage :

— Citoyen, lui demanda-t-il, est-ce à ton adresse ou bien au hasard des armes qu’il faut attribuer ton triomphe ?

— Oh ! oh ! mes amis, venez à mon secours, protégez-moi ! s’écria Scévola en accompagnant cette fine plaisanterie d’un rire grossier et impertinent. Voici le citoyen mercier qui veut à son tour me dévorer tout vif !… Si, pour le calmer, je lui administrais quelques chiquenaudes…

Fontaine, dominé probablement par une idée fixe, sembla ne pas remarquer cette insulte, et renouvela sa première question.

— Parbleu ! dit Scévola, crois-tu donc, gros muscadin manqué, qu’on ait été pour rien, pendant dix ans, maître d’armes !…

— Ainsi, avant de te battre avec Michaud tu étais assuré d’avoir sur lui l’avantage ?

— Certes !… Mais prends garde… tu commences à m’ennuyer avec tes questions…

— Alors, si tu avais cette conviction, ce n’est pas un combat que tu as livré, c’est tout bonnement un assassinat que tu as commis…

— Va pour l’assassinat, Après ?

— Après ! s’écria Fontaine d’une voix tonnante. Michaud, s’il succombe, ne mourra pas au moins sans vengeance ! Je n’ai plus peur. Je suis juste en colère à point nommé. Tiens, misérable, je te paie la dette de mon pauvre ami. Voici ce que tu mérites…

Avant que Scévola et ses témoins eussent eu le temps de deviner son action ou de s’y opposer, deux vigoureux soufflets, lancés par le mercier, à tour de bras, tombèrent d’aplomb sur les joues de l’ex-maître d’armes, dont le teint livide s’empourpra d’une vive rougeur.

Le dialogue qui avait précédé cette action à laquelle nous étions si loin de nous attendre, avait eu lieu d’une façon si rapide, qu’il s’était passé en dix fois moins de temps que le lecteur n’en mettra probablement à le lire ici.

Je m’attendais à voir Scévola, après ce sanglant outrage, se jeter comme une bête fauve sur son provocateur, et déjà je me disposais à me porter au secours de ce dernier, mais il n’en fut rien. L’ex-maître d’armes, soit que la fureur qui l’animait fût tellement violente qu’elle paralysât sa volonté, soit qu’au contraire la peur l’eût saisi en voyant pointer tout à coup les oreilles d’un lion sous une peau de mouton ; l’ex-maître d’armes, dis-je, resta pendant une dizaine de secondes immobile et anéanti, comme s’il eût été touché par la foudre.

Enfin, les premières paroles qu’il prononça me prouvèrent que c’était bien plutôt à la crainte qu’il éprouvait, qu’à l’indignation que je lui supposais, qu’il fallait attribuer sa stupéfaction.

— Peut-être, avant de devenir mercier, étais-tu maître d’armes, citoyen Fontaine ? dit-il sans emportement ; car, moi, je ne te connais que depuis seulement trois à quatre jours, et j’ignore ton passé…

— Que j’aie été ce que j’ai voulu, peu t’importe, assassin ! s’écria Fontaine d’un ton qui montrait que la colère qui l’animait, loin de diminuer, augmentait encore. Allons, prends cette épée, lâche brigand ! j’ai soif de ton sang, et je ne puis attendre.

Le mercier, en parlant ai se saisit de l’épée dont le pauvre Michaud s’était si mal et si peu servi, et Scévola dut se remettre en garde. Toutefois, je compris à la pâleur de