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Page:Duplessis - Les Étapes d'un volontaire, 3, 1866.djvu/11

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« Quos vult perdere Jupiter dementat ! »


C’est cela même ; mais pardon… comprenez-vous donc le latin ?…

— Oui, citoyen ; je puis même, sans trop me vanter, prétendre que j’ai fait de brillantes humanités…

— Vraiment ! s’écria l’inconnu en m’adressant un gracieux sourire. Ah ! j’espère, citoyen, que vous ne quitterez pas Nîmes sans m’accorder une heure ou deux de conversation. Il m’est impossible de vous exprimer la joie indicible que j’éprouverais à entendre réciter par une voix savante quelques-unes des odes d’Horace !

Je me nomme Jérôme Bontemps, ancien régent de rhétorique. — Tout à votre service.

Au sortir de la table, mon nouvel ami Jérôme Bontemps me conduisit visiter les Arènes et les diverses antiquités romaines que renferme Nîmes ; puis, la nuit venue, il me souhaita une bonne nuit et me quitta en me jetant une douzaine de vers hexamètres à la tête.

Le lendemain, il faisait à peine jour et je dormais encore d’un profond sommeil, quand je fus réveillé en sursaut par le bruit que fit ma porte en s’ouvrant avec violence :

J’aperçus le docte régent droit et immobile devant mon lit.

— Je vous demande bien pardon de vous réveiller aussi brusquement, me dit-il, je reçois à l’instant même une invitation pour me rendre à la noce d’un de mes anciens élèves et je n’ai pas voulu partir sans vous avertir de mon absence. Mais, j’y songe, le temps est magnifique, rien ne vous retient à Nîmes, pourquoi ne m’accompagneriez-vous pas ? Je vous promets une hospitalité charmante !

— Ma foi, lui répondis-je, je ne vois pas trop pourquoi je n’accepterais pas votre offre. Vous avez été assez bon pour me conduire hier visiter les Arènes, la tour Magne, le temple de Diane et la maison Carrée : rien ne me retient plus, en effet, à Nîmes. Et puis, j’ai remarqué que les parties improvisées et inattendues sont en général beaucoup plus amusantes que celles que l’on prémédite. Ah ! à propos, votre ancien élève demeure-t-il dans la direction de Sauve ?

— À cinq lieues de cette ville.

— Cela tombe à merveille ; en vous accompagnant, je suis mon itinéraire.

En dix minutes je fus prêt, et nous nous mîmes en route.

Les rayons du soleil, qui tombaient d’aplomb sur nos têtes, sans que nos corps projetassent d’ombre, nous apprirent qu’il était midi, lorsque nous atteignîmes un gros village situé à environ cinq lieues de Nîmes.

J’étais harassé de fatigue, et je proposai à mon compagnon de nous arrêter pour prendre une heure de repos.

— Nous sommes arrivés, me répondit-il. — Tenez, voyez-vous cette grande et belle maison qui s’élève à cinq cents pas devant nous ? c’est la mairie…

— Que m’importe, je n’ai rien à y faire !

— Je vous demande bien pardon, vous avez à assister à une noce, car mon ancien élève est justement le maire de ce bourg, et c’est là qu’il demeure.

Nous fûmes reçus, Jérôme Bontemps et moi, par l’officier municipal avec une politesse et un empressement bien rares à cette époque.

À peine étions-nous remis de notre fatigue, qu’un domestique vint nous avertir que le déjeuner nous attendait ; nous trouvâmes une table bien dressée, bien servie, et, le vin de Lunel aidant, nous oubliâmes bientôt les cinq lieues que nous venions de faire.

On apportait le dessert quand un homme revêtu d’un habit bleu râpé, et ayant autour du corps un ceinturon de cuir d’où pendaient deux baguettes de tambour, entra dans la salle à manger et demanda au maire, en le saluant avec respect, s’il était temps de se mettre en marche.