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et lui fit un magnifique panégyrique de mes vertus privées.

Le soleil déclinait sensiblement à l’horizon lorsque je proposai au régent de nous remettre en route pour Nîmes ; mais son ancien élève, le maire, dont le mariage devait s’accomplir le lendemain, ne voulut jamais consentir à le laisser partir. Assez contrarié de rester un jour de plus dans ce bourg, où je ne connaissais personne, et où ne me retenait aucun intérêt de curiosité ou de sentiment, je songeais à poursuivre tout seul mon chemin, quand l’ex-lieutenant criminel, M. de N***, devinant sans doute mon ennui, me proposa de prendre place dans sa carriole, et de l’accompagner chez lui.

— Je ne demeure qu’à une lieue de Sauve, me dit-il, et comme cette ville se trouve sur votre itinéraire, je ne vois pas trop quel motif pourrait vous faire refuser ma proposition.

Je m’empressai d’accepter cette offre ; un quart d’heure plus tard je roulais vers la maison de campagne de l’ex-lieutenant criminel.

Pendant le trajet de deux heures que nous fîmes, j’eus tout le temps nécessaire pour apprécier l’esprit droit et solide, l’aménité de caractère, la profonde instruction de N***.

La maison de campagne qu’habitaient de N*** et sa famille était belle, spacieuse, et annonçait l’aisance.

— Suivez-moi, mon ami, me dit-il en jetant les rênes du cheval à un domestique qui, en entendant rouler la carriole, s’était empressé de venir ouvrir la grande porte d’entrée, je vais vous présenter à ma famille.

Deux femmes attendaient N*** au rez-de-chaussée. En le voyant, elles se jetèrent à son cou et l’embrassèrent avec une vive tendresse.

— Mon amie, dit le lieutenant criminel en s’adressant à la plus âgée des deux femmes, permets que je te présente un officier dont j’ai fait la rencontre aujourd’hui, et qui a bien voulu accepter l’hospitalité chez nous. Quoique notre liaison ne date que de quelques heures, je crois pouvoir affirmer qu’il est un galant homme et que tu le verras avec plaisir.

Madame de N***, qui dans le premier moment ne m’avait pas aperçu, s’empressa de me dire combien elle savait gré à son mari de la bonne fortune qu’il lui procurait, puis elle me fit passer dans le salon.

Une lampe placée sur une table, encombrée de ces menus ouvrages de couture et de broderie qui offrent aux femmes une ressource inépuisable contre l’ennui, éclairait cette scène de douces lueurs.

Je ne puis exprimer l’émotion pleine de mélancolie que me fit éprouver la vue de cet intérieur si calme et si tranquille qui me rappelait ma famille.

La fille de mon hôte que je n’avais encore que confusément aperçue, et qui s’était éloignée pour donner sans doute quelques ordres, revint bientôt. Je vis certes la plus jolie créature que poète ait jamais rêvée. À peine âgée de dix-sept ans, elle présentait une de ces beautés splendides et modestes tout à la fois que l’on admire et qu’il est impossible d’analyser, car tout en elles est âme et sentiment.

— Si vous voulez venir souper, mon père, dit-elle en embrassant tendrement le lieutenant criminel qui lui rendit sa caresse avec amour, le couvert est mis.

J’offris aussitôt mon bras à la femme de mon hôte, lorsque plusieurs coups précipités qui retentirent à la porte de la rue, nous firent nous arrêter subitement.

— Qui peut venir nous visiter à pareille heure ! s’écria madame N*** dont je sentis le bras trembler sous le mien.

— Sans doute un ami, lui répondit tranquillement son mari.

Une minute plus tard nous entendîmes crier le sable du jardin sous un pas pressé et nerveux, puis presqu’aussitôt la porte du salon s’ouvrit et un jeune homme botté, éperonné, portant à la main un fouet de voyage, et revêtu d’une carmagnole, apparut à nos regards.

— Maurice ! s’écria la femme de l’ex-lieutenant criminel en s’avançant vivement vers le nouveau venu, qu’y a-t-il, mon ami ?… Je suis heureuse de te voir ; et cependant je ne sais, mais un secret pressentiment me dit que ta visite ici à pareille heure et sans être annoncée, cache une mauvaise nouvelle ! Parle, explique-toi !… je meurs d’inquiétude !

— Vous vous inquiétez à tort, ma bonne tante, répondit celui que madame N*** venait d’appeler Maurice ; mes affaires m’ont conduit à un quart de lieue de votre maison de campagne, et je n’ai pas voulu, me trouvant si près de vous, passer sans vous rendre visite, voila tout.

— Bien vrai, Maurice, tu ne me caches rien ?

— Rien, ma tante, je vous assure, dit le jeune homme en rougissant légèrement.

Je remarquai que pendant tout le temps que dura le souper, le regard inquiet du jeune homme chercha constamment celui de son oncle et que ce dernier mit une vive obstination à l’éviter.

Le repas fut triste : en vain Maurice essaya de l’animer par ses saillies ; sa gaieté forcée eu factice, — du moins elle me paraissait telle, — n’obtint pas le succès qu’il en attendait.

— Ma bonne amie, dit mon hôte lorsque nous nous levâmes de table en s’adressant à sa femme, j’ai plusieurs commissions à donner à Maurice, et je confisque ton beau neveu à mon profit, Demain matin je vous le rendrai libre de toute affaire.

M. de N*** prononça ces derniers mots avec une si parfaite tranquillité que sa femme fut rassurée ; peu après, elle partit emmenant avec elle sa fille.

— Eh bien, Maurice, dit mon hôte en se retournant vers le jeune homme, à présent que nous voilà seuls, tu peux parler sans crainte. Je cours un danger, n’est-ce pas ?

Maurice, avant de répondre, me regarda d’un air embarrassé ; comprenant que ma présence le gênait, je voulus me lever pour sortir, mais M. de N*** me retint.

— Tu peux parler sans crainte devant cet officier, Maurice, lui dit-il, je réponds de sa discrétion et de son honneur.

— Eh bien, alors, mon pauvre oncle, s’écria vivement le jeune homme, je puis vous avouer que vous avez été dénoncé de nouveau, et que vous n’avez pas de temps à perdre pour prendre la fuite, car si les renseignements que j’ai reçus sont exacts, — et j’ai tout lieu de le croire, — on doit être, à l’heure qu’il est, à votre poursuite.

— Ce mot est impropre, Maurice, répondit l’ex-lieutenant, toujours avec la même tranquillité et sans que rien dans sa voix décelât la moindre émotion : on ne peut pas être à ma poursuite puisque je ne suis pas en fuite.

— Mais, mon oncle, vous allez au moins partir de suite…

— Non, Maurice, ma conscience ne me reproche rien, je reste.

— C’est vous perdre ! s’écria le jeune homme avec désespoir.

— Quoi ! voudrais-tu que j’abandonnasse ta tante et ta cousine ! que je les laissasse exposées à la brutalité et à l’insolence des soldats chargés d’opérer mon arrestation ? Non, Maurice ! comme chef de famille ma place est dans ma maison : n’insiste pas, les prières seraient inutiles ! Tu sais la maxime favorite de ma vie : « Fais ce que dois, advienne que pourra ! à la grâce de Dieu ! »

On devinait, dans la façon dont l’ex-lieutenant criminel fit cette réponse, une résolution tellement inébranlable, que le jeune homme ne jugea pas à propos d’insister : il connaissait sans doute, au reste, le caractère de son oncle.

— Et dis-moi, Maurice, continua ce dernier, c’est probablement à une nouvelle dénonciation de Charles que je devrai ma future arrestation ?