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La maison de détention de la petite ville de Sauve, qui servait seulement à renfermer les prisonniers de passage conduits à Paris, était un ancien couvent que l’on avait, tant bien que mal, approprié à la hâte pour cette nouvelle destination. Lorsque nous revînmes munis de notre permis, le geôlier nous apprit que les prisonniers étaient à déjeuner en commun dans l’ancien réfectoire, et il demanda si nous désirions attendre la fin de ce repas, afin de pouvoir voir M. de N*** en particulier. Comme le convoi devait se remettre dans une heure en marche, et que par conséquent les minutes étaient précieuses, nous répondîmes que désirant seulement voir le citoyen N*** et n’ayant rien à lui communiquer de secret et de particulier, peu nous importait la présence de ses compagnons d’infortune.

Après avoir traversé un long corridor coupé par plusieurs portes épaisses, nous arrivâmes dans le réfectoire où se tenaient les prisonniers.

M. de N***, à notre vue, se leva vivement de table et s’avança vers nous en nous tendant la main.

— Maurice ! monsieur ! s’écria-t-il en nous apercevant, son neveu et moi, je ne puis certes blâmer cette dernière preuve d’amitié et de dévouement que vous voulez bien me donner en venant me trouver jusqu’ici, mais je vous avoue que j’eusse préféré ne pas vous revoir ! Je fais mes efforts pour me détacher entièrement de la terre, et tout ce qui me rappelle une affection affaiblit mon courage !

— Quoi, mon oncle, dit le jeune homme avec un profond accent de tristesse, vous me refusez cette dernière consolation ! Vous me repoussez !…

— Non, mon bon Maurice, j’aurais préféré, je le répète, que tu ne fusses pas venu, mais à présent que tu es près de moi, je ne me sentirai plus le courage de me priver de la présence. Au reste, j’ai encore quelques instructions à te donner au sujet de ma famille !… Suis-moi !…

M. de N*** après m’avoir, par un signe de tête et par un regard, demandé la permission de rester seul un moment avec son neveu, prit ce dernier par le bras et l’entraîna à l’extrémité du réfectoire.

Il y avait à peu près une demi-heure que nous étions avec les prisonniers, lorsque le geôlier vint nous avertir qu’il fallait nous retirer.

Les adieux de Maurice et de son oncle furent touchants : pour la première fois depuis son arrestation, le lieutenant criminel montra une lueur de faiblesse, et ne put retenir une larme en prononçant le nom de sa femme et de sa fille !

— Adieu, monsieur, me dit-il en n’embrassant, que Dieu reconnaisse par le bonheur de votre vie la générosité et la noble pitié que vous m’avez montrées, et l’un de mes vœux les plus ardents sera accompli !

Je ne cacherai pas que, sentant ma fermeté faiblir, je n’eus que la force de m’enfuir sans répondre :

Nous trouvâmes en sortant la plus grande partie des habitants de la petite ville de Sauve réunis devant la porte de la prison et attendant le départ des condamnés pour les voir passer. Nous nous joignîmes à eux. Déjà les deux voitures attribuées à ce transport étaient arrivées, déjà la moitié de l’escorte caracolait à cheval, lorsque le geôlier sortit d’un air effaré, s’adressant à la foule :

— Y a-t-il un médecin ? demanda-t-il à haute voix. Un misérable ci-devant, afin d’éviter le supplice qu’il a mérité, vient de s’enfoncer un couteau dans la poitrine !

À ces paroles, une poignante émotion me saisit au cœur ; je regarda Maurice, et je devinai à la pâleur extrême et à l’égarement de son regard que la même pensée venait de se présenter en même temps à mon esprit et au sien.

Que l’on juge combien mon émotion augmenta encore, lorsque j’entendis partir tout à coup, derrière moi, un de ces cris tellement déchirants que l’on ne peut les traduire avec la plume, — un de ces cris que la douleur, atteignant aux limites de la folie, peut seul trouver, — et quand, en me retournant, je vis madame de N***, que sa fille soutenait dans ses bras.

— Ma tante ! vous ici ! s’écria Maurice en apercevant la malheureuse femme et en se précipitant à son secours. Au nom du ciel ! calmez-vous !…

— N*** est mort ! dit l’infortunée d’une voix sourde et sans que rien indiquât en elle qu’elle eût reconnu son neveu. Laissez-moi mourir !… Je veux le rejoindre !… c’est mon devoir !…

Madame de N*** resta alors pendant quelques instants dans une immobilité effrayante : puis, poussant enfin un nouveau cri, elle tomba dans une épouvantable crise de nerfs.

— Je dois rendre cette justice aux habitants de Sauve, qu’il se montrèrent excellents et pleins de pitié pour la pauvre victime ; ils offrirent à l’envi leurs services à Maurice et l’aidèrent avec empressement à transporter sa tante dans une maison voisine.

Pendant que cette scène de désolation avait lieu au dehors, un médecin était entré dans la prison, pour tâcher de conserver à l’échafaud le ci-devant qui venait de tenter de s’y soustraire par une mort volontaire.

Au moment où l’Esculape de province passait le seuil de la maison de réclusion, je le saisis par le revers de son habit, et lui demandai avec une impérieuse vivacité quel était le prisonnier qui avait voulu se suicider, et s’il avait réussi.

— Je ne le connais pas personnellement, me répondit-il, c’est un homme vêtu de noir et âgé d’environ quarante ans ; il vient d’entrer dans l’agonie et n’a pas plus de cinq minutes à vivre ! Ses compagnons sont consternés ; il n’y a qu’une vieille pimbêche, ridiculement attifée, que ce spectacle semble n’avoir nullement impressionnée. Elle ne fait que lever les épaules d’un air de pitié et répéter sur le même ton :

— Monsieur aura eu peur de retrouver, ce qui eût pu compromettre sa noblesse, quelque cousin-germain parmi les aides chargés de son exécution ! Voilà pourquoi il s’est si bravement transpercé !

— Mais alors, m’écriai-je sans lâcher le revers de l’habit du médecin, ce n’est donc pas le citoyen N*** qui s’est suicidé ?

— Mais nullement, me répondit-il, je connais personnellement le citoyen N***, que je viens en effet d’apercevoir parmi les reclus, c’est un homme de grand cœur, qui ne craint pas l’échafaud et que sa religion empêcherait au reste d’attenter à ses jours.

— Merci, m’écriai-je en abandonnant le médecin, et en me lançant comme un fou dans la direction de la maison où Maurice venait de transporter sa tante.

— Maurice, dis-je en arrivant ce n’est pas ton oncle qui s’est tué !… je te jure sur l’honneur que je ne cherche pas à te tromper, ton oncle se porte bien.

Prodige de tendresse, que je raconte parce que je l’ai vu, mais que je ne me charge pas d’expliquer : madame de N***, qui, au moment où je prononçai ces paroles, était toujours en proie à une de ces crises nerveuses qui suffisent pour ébranler la raison la plus forte : madame de N*** qui se tordait sur sa couche de douleur, et que cinq hommes robustes étaient presque insuffisants à contenir pour l’empêcher de se briser la tête contre les murs ; madame de N***, dis-je, dès que j’eus annoncé à Maurice que le suicidé n’était pas son oncle, se calma comme par enchantement, retrouva la raison, la parole, et me demanda d’une voix fort intelligible, quoique encore un peu tremblante, si j’étais bien assuré de ne pas me tromper.

Sur ma réponse affirmative, la malheureuse se leva vivement et se dirigea vers la porte en disant qu’on la laissât sortir si on ne voulait pas la tuer, car elle avait besoin de voir son mari.

Madame de N***, soutenue par Maurice, se dirigeait vers la prison, lorsque je la rejoignis.

— Madame, lui dis-je, ne vous désespérez pas d’avance, et veuillez m’attendre : je cours chez le président du comité de sûreté publique chercher un laissez-passer qui vous donnera accès dans la maison de réclusion.

— C’est inutile, interrompit un des assistants, voici les prisonniers qui sortent pour remonter en voiture.

En effet, un mouvement qui s’opéra aussitôt dans la foule vint confirmer ce propos, et quelques secondes plus tard