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MOINE ET SOLDAT
TROISIÈME PARTIE DES ÉTAPES D’UN VOLONTAIRE
PAR PAUL DUPLESSIS.
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I

En quittant mon cousin, je fus faire un tour dans la ville pour essayer de dissiper, par la promenade, la mauvaise humeur que me causait la faiblesse que j’avais montrée en m’osant pas refuser l’invitation du représentant. Toutefois, en réfléchissant que déjà à Avignon j’avais diné plusieurs fois avec les membres du comité révolutionnaire et de surveillance, je finis par m’avouer que mes scrupules étaient un peu tardifs, et je me promis de mettre à profit l’obligation qui m’était imposée pour étudier de plus près les gens du pouvoir.

Au total, jamais encore je n’avais eu l’honneur d’être admis dans la familiarité d’un personnage aussi haut placé que l’était un représentant du peuple envoyé en mission par la Convention. C’était une bonne fortune à ne pas négliger.

Fatigué par deux heures de marche, je me dirigeais vers mon auberge, lorsque je rencontrai une brigade de gendarmerie.

Je remarquai que la vue de la force publique troublait étrangement les rares habitants qui osaient prendre le frais devant leurs portes. À cette époque de la terreur, où la conduite la plus inoffensive et la conscience la plus pure ne garantissaient personne des atteintes de la loi, il est naturel que chacun tremble.

En observant, tout en suivant les gendarmes, leur contenance, je ne tardai pas à acquérir la conviction qu’ils allaient opérer une arrestation ; non pas que leurs visages reflétassent la moindre lueur de sensibilité, — les gendarmes, instruments impassibles de la loi, sont trop habitués à de semblables missions pour que leur accomplissement puisse les toucher, — mais, au contraire, parce que leur air me parut plus sévère et plus rigide que de coutume.

En effet, je ne me trompais pas.

Arrivé devant la boutique d’un passementier, la brigade s’arrêta, et l’adjudant qui la commandait entra seul dans la boutique.

Soit que le pas cadencé de cette troupe d’hommes armés eût attiré l’attention des voisins, soit que la plupart des habitants de la ville fissent le gué derrière les contrevents fermés des jalousies de leurs fenêtres, soit tout autre motif ; toujours est-il que la brigade n’était pas arrêtée depuis une minute, que déjà la rue était remplie d’une foule nombreuse de gens de toute sorte.

— Savez-vous ce qui se passe ? demandai-je à un bobelineur qui, la bouche ouverte et le col tendu, se tenait sur le seuil de son échoppe.