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Page:Duplessis - Les Étapes d'un volontaire, 4, 1866.djvu/26

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1. Les geoliers, qui étaient présents lorsque

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MONSIFUR JACQUES,


Je ne puis vous expliquer l'émotion que me causa, non ces simples et banales paroles, mais l'ironie avec laquelle il les prononça,


ë me remit les ciseaux, furent trompés par ce semblant de résignation, et ne songèrent pas à le visiter.

Quant à moi, une fois que Valazé fut parti, je revins de l'espèce d'étourdissement qu'il m'avait causé, el me rappe- lant alors son geste, son timbre de voix, son sourire triom- phant et moqueur, je me retournai vers les autres détenus et Je leur dis ces paroles, que plusieurs d’entre eux qui n’ont élé jugés encore pourront vous rappeler : « Giloyens,

lalazé ne montera pas sur l'échäafaud! À l’heure qu'il est, il doit être mort! » On se récria sur ma prédiction ; on m'ob- jecta que notre ami n'avait pas une seule fois, depuis sa cap- tivité, montré, non pas seulement un moment de rage ou de colère, mais même d'impatience ; que personne n'était doné d’une nature plus douce que la sienne,

— Eh bien! répliquai-je, il se sera tué doucement et le sourire sur les lèvres.

Eu effet, quelques heures plus tard, nous apprimes que Valazé s'élait frappé, en pleine audience, d'un poignard qu'il tenait caché sous son manteau.

— Et Verguiaud? dis-je à Riouffe que j'écoutais avide- ment.

— Vergniaud, me répondit-il, n'était pas un caractère égal : tout en lui se produisait par saccades; je l'appelais l'eufant de la fantaisie! Quel admirable cœur! Quelle belle intelligence! Combien d'heures ‘élicieuses ne lui avons- nous pas dues pendant le court séjour qu'il fl parmi nous !

Quelquefois, abusant du génie endormi en lui, il semblait se réveiller d’un rêve : alors, avec cette flexibilité d’organe qui eût remué jusqu'aux larmes le cœur le plus insensible, avec celte éloquence si originale, si élevée, si sublime, dent il a emporté le secret dans la tombe, il nous dépeignait la triste dégradation dans laquelle était tombée la France. Et il soupirait !

Jamais Vergniaud ne m'a fait cet aveu, mais je crois pou- voir vous assurer, sans crainte de me tromper, qu'il est mort fervent royaliste. Au reste, continua Riouffe après un moment de silence que je respectai, car je devinai quelles devaient être ses pensées; au resle, il ay avait personne, par moment, i gai que Vergniaud. Sa mémoire était pleine de vers plaisants qu'il nous citait parfois avec un rare ä-propos, el qui nous faisaient rire aux larmes.

Au moment de comparuitre devant le tribuual qui devait faire tomber sa tête, Vergniaud jeta non loin de moi un petit paquet qui, nous le recounûmes plus tard, renfermait du poi- son. Il préféra mourir avec ses collègues. É

— Je ne puis vous exprimer combien tous ces détails, que vous êles assez bon pour me donner, m'intéressent, di alors à Rioufle; votre rencontre a élé pour moi un coup du ciel! Mais, je vous en prie, vous qui avez connu lous ces hommes illustres et qui ëles à même mieux que personne, par conséquent, de vous former une opinion exacte sur leur compte; qui a montré, selon vous, le plus de courage, de Vergniaud ou de Valazé, l'un en se donnant la mort, l'autre en acceptant som supplice ?

—— Je ne fais aucune différence entre leur gloire, me ré- pondit Riouffe. Tous les deux ont obéi à leur inslinet et à leur nature. Valazé, idolâtre de son indépendance person- nelle, a dù éprouver un orgueilleux bonbeur de disposer de lui-même, de même que Vergaiaud, dont l'âme était si sym- pathique et si aimante, a dù trouver une inefable volupté à partager en commun je martyre de ses amis.

VIT


Rionffe allait continuer, lorsque, consultant une grosse vieille montre en argent, qu'il étail assez heureux pour pos- séder, il me prit par le bras, en me disant :

— Mon cher camarade, voici l'heure du diner. Voulez- vous venir avec moi? Notre ordinaire, quoiqu'il nous coûte horriblement cher, est loin d’être même nassable. Toutefois,

comme vous sortez du cachot dés assassins, vous le trouve rez excellent,

Je remerciai Riouffe avec effusion de sa bonté, et je me disposais à le suivre, quand un de nos compagnons d'infor- tune se précipita au-devant de lui, et le saisissant vivement par le bras :

— Bonne nouvelle, citoyen d'apercevoir, par la lucara grillée qui donne sur le dehors, la citoyenne D“** tombant dans les bras de son père! +

— Comment cela ? je ne comprends pa;

— Quoi! vous ne comprenez pas que lorsque Bertrand est venu chercher la citoyenne D'**, c'était, non pour I conduire au tribunal ou la livrer aux gendammes, mais bien pour la rendre à la liberté! Le papier qu'il portait à la main n'était autre chose que la levée de l'écrou.

— Ah! le misérable, m'écriai-je, Et il a eu l'infamie, lors- qu'il tenait ainsi la grâce de celte femme, de lui faire ac- croire qu'elle allait mourir !

— Bertrand s'amuse tous les jours à de pareilles gentil- lesses, me répondit Riouffe, C’est un de ses plus agréables passe-Lemps,

Riouffe avait bien eu raison de me dire qu'en comparaison de l'abominable nourriture que l'on me donnait dans mon cachot, je trouverais l'ordinaire des politiques fort de mon goût.

Je ne me rappelle pas avoir fait un meilleur diner de ma vie que celui que je pris, ce jour-là, moi dixième, à une ta- ble dressée dans un des corridors de la Gonciergerie. Au reste, on se tromperait si l'on attribuait à la sollicitude de nos geôliers les pelites douceurs culinaires que nous nous procurions : près de trois mille parents ou amis nous four- nissaient ou nous apportaient Chaque jour les provisions nécessaires, La plus grande fraternité existait entre les pri- souniers de la mème table ; les plus riches aidaient les dés- hérités de la fortune, et ces derniers, reconnaissants, s'oc- cupaient des soins dé la cuisine et du ménage.

Une chose me frappa comme trait de caractère essen- lellement français, ce fut la gaité qui régna pendant tont le cours du repas. Assis en face de moi, se tenaient deux dé- tenus, lÿp2s 2urieux que je ne pouvais me lasser d'étudier ; l'un d'eux était grand, maigre et eflanqué ccmme l'immor= tel chevalier de Gervantes ; l'autre, gros et court, rappelait assez heureusement Sancho Pança, Le premier se nommait Armengo, ec le second Paillet.

— Illustre Armengo, vous semblez tout soucieux aujour- d'hui, dit Rioufle, en s'adressant au don Quichotte; auriez- vous reçu de mauvaises nouvelles ?

— Hélas! oui, citoyen ! répondit Armengo en poussant un profond soupir. Jai appris ce malin, par mon génie, que la fille de l'empereur de Ghine, ayant eu le malheur de voir un de mes portraits, est tombée tellement amoureuse de moi que l'on désespère de ses jours. Voilà la vingt-deuxième princesse que, depuis deux mois, ma falale beaulé aura con- duite à la tombe.

Armengo, après celle réponse qui, le lecteur le concevra sans peine, me causa un élonnement profond, poussa un long soupir, et, levant les yeux vers les voûtes du corridor, il resta plongé dans upe extase profonde.

— Quel est donc cet Armengo ? demandai-je à voix basse à Riouffe.

— D'abord, me répondit-il, Armengo n’est pas Armengo. 11 doi se nommer autrement. Quant au lieu de sa naissance, j'ai bien peur que la postérité ne le connaisse jamais. Ar- mengo prétend parfois qu'il a vu le jour en Palestine, le lendemain il est orginaire d'Italie, el ainsi de suite; avant hier, pour plaire à une dame détenue qui est du Midi, il prétendu que Toulouse élait sa ville natale. Armengo, croyez-moi, restera toujours un mystère. 4

— Volre réponse me prouve que vous savez plaisanter dans les fers, mais elle ne m'apprend pas grand'chose,

— Sérieusement parlant, voici le fait en deux mots : Ar- mengo, comme vous avez dû vous en apercevoir, est un fou, Sa monomanie consiste à se croire adoré des princesses, et

c'est là, quelque invraisemblable que cela paraisse, la cause

ue, lui dit-il : je viens