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Page:Duplessis - Les Étapes d'un volontaire, 4, 1866.djvu/41

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MONSIEUR JACQUES.


fame scélérat : car jamais je n’admettrai que son ignorance soil telle, qu'elle Lui fasse commettre toutes les bévues ho- micides dont i] se rend coupable chaque jour,

— Sans compter, m'écriai-je, — heureux de voir l'excel- lent homme prendre si chaudement la défense de l'humanité outragée par son collègue, — sans compler que ses malades, dès qu'ils boivent de la lisane, sont pris tout aussitôt de sin- guliers Vomissements.

— Assez! Ne parlez point de cela! s'écria le chirurgien Bayard en m'iblerrompant, J'ai déjà entendu souvent Lenir ce propos; mais il constitue une accusaion si éjouvantable, que, malgré toute la mauvaise opinion que j'ai sur le compte du ciloyen Naury, je ne puis De Hsaidiré à y croire. Quant à vous, mon ami, ue craignez plus rien, Vous vous êtes ré- clamé de mon ministère, je ne vous abandonnerai pas; je répon ls de vous : votre étaL n'est nullement désespéré, eL j'espère, à force de soins, que je me rendrai maître de votre maludie.

L'excellent Bayard, après m'avoir fait cette réponse, allait s'éloigner, mais je le retins ;

— Vous vous éloïgnez, docteur, lui dis-je, alors je suis perdu? Ne doit-on pas me saiguer ce soir ?

— C'est que je n'ai pas le droit de vi département de Naury sans son aulori il avec embürras.

Docteur, vous venez de prononcer mon arrêt de mort| iai-je avec désespoir,

Le citoyen Bayard, un moment indécis, ne tarda pas à prendre son par!

— Au fait, dit-il comme se parlant à lui-même, il ne s'agit ici ni de hiérarchie ni de service ; il s'agit d'empêcher un crime, un assassinat, Si Naury n'est pas contenteL qu'il m'adresse des reproches... Eh bién:! fant pis pour lui, je lui dirai ce que je pense de Sa conduite... F{ ne dénoncera sans doule.,, Qu’ part j'aurai fait mon devoir, L'excellent chirurgien m'adressant alors directement la parole :

— Mon ami, coulinua--il, je vais vous envoyer chercher par deux de mes garçons de salle, qui vous transporteront daus. mon dépariement.,, Ayez donc l'esprit Wauquslle, et regardez voire guérison comme une chose assurée,., À re voir.

En effet, un quart d'heure après le départ du bon doc- teur je fus transféré dans la salle ou département qui se trouvait placé sous ses ordres. Personne ne fit atlention à mon déplacement, 2

Je remerciai vivement, avant de le quitter, mon voisin de lit dont les conseils m'avaient sauvé la vie,

Si-cet. ami ‘d'un-jour.lit jamais mes mémoires, qu'il y trouve au moins loute l'expression de ma profonde recon- naissance. Bien souvent j'ai regretté do né pas avoir: songé à lui demander son nom. £

La même différence qui existait entre le caractère de Naury et de Bayard se relrouvait dans la tenue des départe- ments ou des salles confiées à ces deux médecins : dans celle que prenne le premier on n'entendait relentir que des ris de douleur et de désespoir, on ne voyait que des agoni- sauts; dans le département du second réghaienl un ordre, un calme, une propreté remarquables ; là plupart des malades étaient en voie de guérison.

Un simple coup d'œil me suffit, tant ce contraste était frap- paut, pour apprécier l'heureux changement qui venait de s'opérer dans mà position.

— J'étais à peine couché depuis une heure, quand Bayard se présenta devant moï: je voulus le remercier, mais il nin- terrompit dès les premiers mots, else mit à m'interroger sur mon état de santé. -

— C'est un miracle, vraiment, que vous n'ayez pas suc- combé, me dit-il après un long et iminutieax examen ; il faut que vous soyez doué d'une conslitulion remarquablement ro- Duslé, Ce qu'il vous laut à présent, ce sont des sous assidus et confiauels ; une bonue nourriture el beaucoup de Lranquil- lité d'esprit; en un mot, il s’agit d'une reslauralion complète de votre moral et de votre physique. Au resle, n'ayez au


tion, me répondit-


s enlever alnsi an |

cune inquiétude, vous ne courez aucun danger, et je réponds de vous. à

L'excellent docteur, après avoir prescrit une ordonnance, allait s'éloigner de moi, lorsque semblant se raviser tout à coup :

E Mon cher malade, me dit-il, en qccompagnant ces pa- roles d'un sourire d'inefflable bonté, je m'aperçois que, eomme un étourdi, je vous ordonne des remèdes qui man- quent à la pharmacie de l'Hospice national et qu'il faudra faire venir du dehors !- Pardonnez-moi mon indiscrétion, avez-vous de l'argent pour vous procurer ces médicaments ?

= J'ai laissé à l'Abbaye le peu d'or que je possédais, lui répondis-je, j'espère que le prisounier, détenteur de ces fonds, n'abusera pas dé ma coufance en lui et me les fera passer à la première occasion !..... En attendant je suis sans un 501...

— Qu'à cela ne tienne, mon ami, les médicaments néces- saires à votre guérison.ne coûtent pas bien cher, et vous me permeltrez de vous prêter ce qu'it vous faut pour yous les procurer! Ah! pas de refus, continua Bayard, en me menaçant amicalement d’un geste de doigt, celà me donne- rai une mauvaise opinion de vous... Vous acceplez, c'est convenu. Au revoir! à demain!

Après avoir dit ces paroles, le docteur s'éloisna vivement et sans attendre une réponse. Au fait, il aurait pu rester Jonglemps encore devant le chevet de mon lit avant que j'eusse recouvré assez de sang-froid pour pouvoir lui ex- primer toute ma gratitude ; l'émotion m'oppressait et des larmes tronblaient.ma vue,

Bon et excellent Bayard! jamais mon cœur n'onbliera ton nom;ton nom qué ma famille a béni mille fois, et qu'elle ne prononce. encore aujourd'hui qu'avec un profond Sentiment de respeel et de reconnaissance.

Une fois que Bayard fut parti, je me mis, aiñsi que je l'a- vais fait dans le département de Noury, à examiner les ma- lades dont les lits Louchaient au mien :‘dans celuide gau- che était couché un tout jeune homme en proie 4 une vio- lenté Gèvre cérébrale; dans celui de droite se trouvait un homme âgé d'environ 40 ans, dont l’état, beaucoup moins grave, lui laissait (oute sa connaissance, Ce fut naturelle- ment à ce dérnier que je m'adressai,

— Citoyen, lui dis-je en me retournant de son côté, m'est- il permis de vous delander qui vous êtes et à quelle prison vous appartenez?

— Je me nomme Veyrier, me répondit-il; je suis ancien procureur de la commune de Sédan, et je n'apparliens à aucune prison, car l'on m'a conduit a l'hôpital le jour même de mou arrivée à Paris. Il_est également probable que je ne sorlirai d'ici que pour aller à l'échafaud ! Voilà déjà qua- tre fois que les pourvoyeurs du bourréau viennent me cher ler, eu sans la généreuse fermeté de Bayard, qui s'est cons- tamment refusé à me laisser partir d'ici, ma tête aurait déjh roulé sur la guillotinel

— J'aime à croire que vous vous exagérez le danger de votre position, lai répondis-je.

— Oh! nullement, J'ai été conduit à Paris ayec la mu- nicipalité tout entière de Sédan, et des dix-sept membres qui la composaient el qui tous étaient mes amis, 11 n'eu résle ylus no seul. Tous ont été guillotinés le même jour, le 40 prairial dernier!

— Quelle horreur! m'écriai-je avec indignation, et de quel crime la municipalité de Sédan était-elle donc: accusée ?

— Voila, par le temps qui court, une singulière question. Est-ce que les Jacobins se donnent ln peine d'aconser? Ils guillotivent, cela leur suffit. Après tout, peut-être bien no= tre municipalité a-t-elle été dénoncée par quelque vagabond lé, à qui elle aura refusé d'accorder un-injusle se . Ce qu'il y a de plus triste dans cette alfreuse cntas- trophe, c'est que ces dix-sept citoyens assas élaient tous pères de nombreuse famille

Mon voisin de. lit, l'ex-procureur Veyrier, me demanda alors de lui raconter mon histoire :je me rendis à son désir, ei le reste de la journée se passa rapidement pour noi dans la natration de mes aventures,