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Page:Duplessis - Les Étapes d'un volontaire, 5, 1866.djvu/17

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LUCILE, 46


de laisse à penser avec quels transporis de joie je serrai mOn pauvre ami dans mes bras.


revoir, j'ai presque envie de pleurer, Eh bien ! continuü-t-il vivemehl pour couper court à ce sujet de conversation, que penses-tu de ma défense? Elle est assez réussie, n'est-ce pas? Si tous les détenus, au lieu de se laisser couper stupi- dement le cou sans protester, se donnaient un peu de mou vemenl, la terreur qui courbe et ayilit la France ne durerait pas longtemps.

Le guichelier Leduc ÉtUE plus tard la tragique façon dont se dénoua l'affaire de l'infortuné Loizerolles père.

Comme l'acte d'accusation, dressé d'avance, portait les mêmes désignalions, Je greflier se contenta d'effacer Le pré- nom de François, qui appartenait au fils, el le remplaça par celui de Jean, Lors de l'appel, Coffinhal'effaga à son Lour le fils, qu'il remplaça par celui de père, puis il surchargea grossièrement les chiffres de l'âge et substitua 61 à 22 ans.

Jean-Simon Loizerolles, qui n'élait pas même accusé, fut


guillotiné, avec nos autres compagnons dont je viens de:

donner la liste, daus Ja journée du 8 thermidor !

Le 8 au muljn, nous nous atiendions à chaque instant à voir apparaître nos corbillards, — c'était ainsi que nous ap= pelious les chariots; — muis notre triste attente fut heureu- sement trompée.

Toutefuis, nous n’élions pas plus rassurés à cause de ce retard; au contraire ! l'incertitude qui nous torlurait, gran dissant d'heure en keure, avait fini par alteindre de telles proportions que les trois quarts des déienus étaient tombés dans un état de prostralion qui approchait de l'idiotisme,

Le spectacle desdésolation qe nous présentions élait si pavrant que là £ ell-même, notre impitoyable ulrice, ne-put en être témoin sans se sentir altendrie.

— Mes enfants, mes amis, nous dit-elle, en rompant le morne et lugubre silence qui régnait dans le réfectoire, maugez, mangez, les chariots ne viendront ci aujourd'hui, ni dewajn, Peut-être pas avant quinze jours...

Le 9 thermidor, au mowent où l'on allait ague renfermer dans nos chambres, le porle-clefs Leduc s'approcha de mo d'un air mysiérieux el, baissand: Ja voix ; « Soyez discret, aue-dilil, j'ai une bonne nouvi Île à vous annoncer L... Mais non, Vous pourriez me (trahir, et qui sait? Robespierre n'est peul-êlre pas encore par terre! ajouta-t-il en s'arré- tant.

Leduc, äprès avoir prononcé ces paroles ambiguës, mais enfin fort significatives, s'éloigna vivecient de moi, el sans me donner ie Lemps de l'interroger,

de w’empressai de communiquer cet incident à Anselme,

= Pourvu que j'arrive à tordre le cou à Manim, c'est tout ce que je demande, me répondit-il avec son sWvicisme acçoulumé, je reste m'importe peu,

A peine Anselme achevail-il de prononcer ces paroles que nous-entendimes au dehors ies tambours balire la gé- nérale et le rappel; peu après Jes porte-clefs fermèrent les guichets intermédiaires des corridors; il était évident qu'un grive événement se passait,

de.pe.pnis dire les angoisses et les incertitudes qui éloi- ghèregt pendant loute la nuit le sommeil de nas paupières. Allait-0û nous massacrer ou nous délivrer? Nous n'avions

8 plus le courage de epumuniquer nos conjectures,

Le leydewain malin, 4 sept-heures,. les prisonuiers nou- veaux. que l'on envoyail pour partager notre capliyilé, nous apprireut la défaite de Rubespierre et de la: muvicipalité. Celle nouvelle, si jnullendue el si exlraordinaire, consii- —uñil pour nous un si.heureux événement, el nous élions de- puis:8i longiemps habitués au_malheur,. que mous refusanies d'y croire ; loutefois, nous comwençames 4 sortir de notre Lorpeur el à nous communiquer nos réflexions et nos espé- ranc

À midi enfin, Ja chute de Robespierre nous fut annoncée d'uue façon sl pasiive, presque vlicielle, que nous ne pûe Mme: Plus mettre eu doute noire boubeur.

Alors ce furent des cris, des larmes, des lransports de

luic indicibles ; ous Lombious dans les bras les uns des au-


tres en nous appelant du doux nom de frères; nous étions ivres de honheur. .

Un seul homme peut-être parmi nous conserva son sang- froid et sa dignité; le lectour a déjà dû reconnaître dans cet homme Anselme! La seule réflexion qu'il se permit fut : « Ce coquin de Manini a vraiment de la chance ! »

Il me larde maintenant de sortir de cette atmosphère fé- tide des prisous que j'ai peut-être trop longtemps fait res- pirer aux lecteurs. Je passerai dong rapidement sur les dé- marches que fit Anselme, libéré avant moi, pour obtenir ma sortie de Bajnl-Lazare,

Malheureusement une lettre écrite depuis plus de deux mois par mon oncle le patriote, lettre dans laquelle il me représentait comme un séïde enragé de Robespierre, relarda ma mise en liberté de plus de quinze jours, el je ne sortis ÿe sopAar qu'à la condition de relourner de suite à l'armée,

J'étais si heureux de pouvoir enfin vivre de la vie de tout le monde, que je ne songeai pas à me plaindre de ce qu'on me renvoyuit sous Jes drapeaux,

Je passais mes journées avec Anselme, el comme j'avais touché de l'argeut de chez moi, je le faisais diver deux fois par jour, ;

— Mon’ami, me dit-il] un soir en sortant de table, je mère une vie digne d’un porc d’Epicure, et qui ne peut durer! Je viens le faire mes adieux

— Tu pars ! où vas-tu ? m'écriai-je tout ému,

— Je vais en Yendée, me répundit-il ; tu dois te souvenir me c'est là une idée quiane tourmente depuis longtemps.

u reste, je ne le dis pis adieu, car je sais que nous nous ÿ reverrons,

— Moi nullement,

— Ça ne tait rien : je suis superstitieux moi, et depuis notre doubie rencontre à l'Abbaye et à Saint-Lazare, je me suis mis en lête qu'il était dans notre deslinée de ne plus nous séparer. Je le dis que si je vais ea Vendée Lu vieulras aussi |

Malgré le chagrin que.me causait Je départ d'Anselme, je ne pus cependant m'empêcher de rire de sa fi dans nolre réunion, É

Chose étrange! quinze jours plus lard, le bataillon dans leque] j'avais été incorpore en qualité d'adjudant, éjaiL di EUX pour parlir pour la Vendée, et la singulière prédiction

l'Anselme se réalisait,

Me voici arrr-é, je n'ose dire à la partie la plus intéres- sanle, mais di: :noius la plus dramalique de mon récil,

de regrette, loulefois, que les événements qui me restent à raconler soient d'une nature romayesque, el sewblent ap- parlenir au domaine de l'imaginalion.; car ma sente awbi- Lion, en écrivant ces mémoires, est d'obtenir la répulalion d'un narrateur séridique.et impartial,

Je prie donc les personnes palieutes et courageusés qui ont bien voulu me suivre à Irayers mes trop lougi ré grinalions, de croire que je conseryerai, dans celle tlerniere parlie de mes élapes, la méme. véragité que j'ai montrée jus- qu'à présent.

Si mon rééit semble -pariois s'éloigner de l'histoire et se rapprocher de Ja ficlion, que le lecteur, au lieu ser mon lwagiualion, sep prenne senfement au hasard qui aa jeté dans evite guerre étrange, pilloresque et terriblé, de la \endée el «le. la chouannerie : guerre unique en son gere, que les historiens, sejon leurs opinions onnelles, out préseulée de façons si diverses, el que je vais m'efforcer de peindre saps haine, sans passion, sans énthousiasue £t Sans colère, telle enfin que je l'ai vue, 3

À présent. j'eutre brusquement en matière,

Je ferai grâce au lecteur de on voyage de Paris = tes, qui s'opéra de la iaçou la plus paisible, soit en voiture, soil un descendaut le cours de la Loire, Je dirai senlemeut en passant que la chute de Robespierre, quoiqu'elle fat bien récente encore, avait déjà produit cepéndaut un exceliént effel ea province, Les gens plus limsrés commençaieut à montrer haulement léur indigaalion Lrop longtemps CON


ller en Vendée 1 mais lu es fou je n'y songe