Page:Duplessis - Les Étapes d'un volontaire, 5, 1866.djvu/26

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LUCILE.


peaux ennemis, la nouvelle se répandit dans notre camp que le chef vendéen Delaunay, celui-là même qui, avec C] retle, avait si fort contribué à notre échec de la Roullière, venait d'être tué. Nos cris de : Vive la République et nos dé- charges de mousqueterie augmentèrent de vivacité.

Notre défense meurtrière, qui d'un moment à l’autre pou- vail se changer en offensive, parut enfin atterrer les bri- gands. Leur feu se ralentit peu à peu, et une hésitation marquée ne larda pas à se manifester dans leurs rangs ; bientôt," enñn, leur colonne de gauche céda et se recula en désordre. Nous pouvions nous considérer comme victorieux.

— Vos prévisions se sont réalisées de point en point, capitaine, dis-je à Gherche-à-Manger. Mais qu'avez-vous donc, ajoutai-je en remarquant son visage soucieux, on croirait que notre triomphe ne vous est pas agréable ?

— L'affaire est en bon train, me répondit-il, mais je suis loin de la considérer comme gagnée. Je suis inquiet, faut-il vous l'avouer, de l'absence de Charette. Pour que ce bri- gand ne se trouve pas au plus fort de la mêlée, il faut qu'il Soit retenu ailleurs par un motif bien important.

Or, savez-vous ce que je crains? C'est qu'il n'ait songé à tourner notre camp par les bois de la Péargnière! Si cela était. malédiction... s’écria en ce moment avec rage Cherche-à-Manger sans achever sa phrase, Entendez- vous ! C’est sa voix! Il a tourné le camp... le voici.

Au milieu de la fumée flottante, entre l'espace qui nous séparait de l'ennemi, je vis alors apparaître un homme mai- gre, nerveux, de taille moyenne, portant une écharpe blan- che nouée autour de sa poitrine et un panache de même couleur sur son chapeau à larges bords; jamais je n'avais vu cet homme, et pourtant je sus de suite que c'était Cha- retle,

— Mes amis! s'écria-t-il, en s’adressant à ses paysans, voulez-vous done me laisser fusiller sans me défendre ? Al- Loos, feu! et n'ayez pas peur.

A'la vue de leur général $ nt avec une telle témé- rité à nos balles, les Vendéens n'hésitèrent plus; ils se pré- cipilèrent entre lui et nous, afin de le garantir de leurs


corps, et le combat recommença avec plus de fureur que

jamais. Les brigands, fanatisés par la présence de leur chef, n'ob- servaient plus la moindre prudence; ils se ruaient, sem-

blables à des bêtes fauves, jusque sur nos retranchements, Ce n'était pas du courage, c'était du délire

Du milieu de la masse de fumée qui m'enveloppait, je ne pouvais saisir qu'a la dérobée les principaux épisodes qu combat ; toutefois, je remarquais, avec un sentiment sinon d’effroi, du moins d'inquiétude très-prononcée, que les flam- mes sortant des fusils vendéens se rapprochaient de plus en plus de nous, qu’elles nous brûlaient presque le visage,

Hélas! c’est que l'ennemi, après avoir passé nos fossés comblés de ses cadavres, avait fini par franchir les palissa- des et par pénétrer dans notre camp. Le général Guillaume, appréciant toute l’imminence de la position, et comprenant qu'un moment d'indécision suffisait pour nous perdre, s'é- lança alors, l’épée à la main, el en avant de tous, sur les Vendéens.

La conduite de notre brave général valait celle de Cha- rette : le chef royaliste et le chef républicain se montraient dignes l’un de l'autre; mais, hélas! le sort ne devait pas être aussi favorable à ce dernier qu'au premier, Une balle atteignit Guillaume au milieu de sor élan el le jeta rude- ment par terre,

— Vive la République! En avant, Prat! s'écria-t-il en tombant.

Notre chef de brigade, digne héritier de no’re général, m'avait pas besoin de cet appel pour se montrer à Ja hauteur de son rôle, Je crois voir encore l'éclair de son regard et entendre le timbre vibrant de sa voix, alors qu'écarlant les soldats qui l'entouraient afin d'avoir l'honneur d'arriver le premier de tous en face de l'ennemi, il s’élança le sabre à la main sur les brigands. Pauvre de Prat! quelques secondes plus tard, il gisait mortellement frappé au pied du retran- chement. à

Le sang de ces deux martyrs du devoir demandait ven. Î geance; il fut vengé, Ne prenant même plus la veine de re-