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LUCILE,

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teur ne doit pas s'étonner que je ne l’eusse pas reconnu ; inais, aux paroles qu'il prononça, le doute ne me fut plus possible,

— Anselme! Anselme! toi ici! m'écriai-je en succombant à l'émotion et en ne pouvant relenir mes larmes, A1 faut-il que je te retrouve au moment où je ais mourir !

— Toi, mourir, reprit Anselme avec éclat, es-tu donc blessé, non pauvre ami ?

— Non, mais je suis prisonnier, et l’on doit me fusiller tout à l'heure.

— Te fusiller, mille millions de furies ! répéla mon excel- lent compagnon d'armes. Par exemple! voilà qui me semble un peu curieux! Ah! on veut fusiller un honnête homme comme toi! El qui donc? Désigue-moi l’auteur de ce beau projet, que je l’estermine L... ont tes nouveaux amis les blancs.

— Ces messieurs ont parfaitement raison de faire justice des assassins de la bande Turreau, dit Anselue, et je les aide dans celle besogne aulant qu'il est en mon pouvoir; mais si mes nouveaux amis veulent te confondre avec les in- cendiaires républicains, je consens à être damné au jour du jugement dernier si je ne tombe pas dessus à bras rac- courcis !

Ma reconnaissance avec Anselme avait complètement dis- Lait les paysans vendéens du sermon du curé, el ils s'étaient rapprochés de nous.

— Monsieur, poursuivit Anselme en écartant avec une affectueuse, mais énergique brusquerie les paysans qui nous entouraient, et en s'adressant à lecclésiastique, vous n’igno- rez pas que je suis un pécheur, personne au monde cepen- dunt ne respecte davantage el ne professe sa religion avec plus de ferveur que moi : eh bien, je vous jure, sur notre Seigneur Jésus-Christ, que mon ami, ici présent, est un hon- nète homme dans toute l'acception du mot, et qu’en lui ren- dant la liberté, vous n'exposez en rien votre sécurité : il gar- dera un inviolable secret sur notre relraite; je me porte responsable de sa parole eL de sa loyauté.

— Mon ami, lui répondit le curé après m'avoir considéré un moment en silence, je crois ce que vous dites. Vous savez combien je souffre toutes les fois que la nécessité de nous défendre nous force de verser le sang el je ne demande pas mieux que de sauver ce frère en Jésus-Christ! Toutefois, je ne puis, s'il ne jure sur le Christ, notre divin maitre, qu'il deviendra des nôtres, intercéder en sa faveur.

— Tu entends ? me dit Anselme.

— Hélas !'oui, lui répondisje, j'entends très-bien que l'on me conseille d'abandonner môn drapeau! Anselme, là, fran- chement, la main sur ta conscience, si tu 18 Lrouvais dans une position semblable à la mienne, et que l'on L'adressät la proposition que l’on me fait, l'accepterais-tu ?

Anselme réfléchit un instant, puis, baissant enfin la tête et d'une voix élouflée :

= Non, je n'acceplerais pas, me répondit-il; mais n'im- porte, reprit-il vivement, que quelqu'un ose porter la main sur loi, eL on verra si je ne l'étends pas aussitôt mort à mes pieds. ;

— Vous vous méprenez sur le sens de mes paroles, mon sieur, me dit alors avec bonté le curé; je n’exige pas que vous lourniez vos armes contre la République, mais seule- ment que vous vous engagiez à ne plus Vous en servir contre nous.

— Oh! quant à cela, monsieur le curé, m'écriai-je, je ne demande pas mieux que de vous le promettre. Je suis peu belliqueux de ma nature, et j'ai horreur du sang humain ! Je w'engage donc sur ce qu'il y a de plus sacré à ne jamais, si vous we rendez à la liberté, combattre contre vous,

Le bon curé me sourit alors avec douceur, puis se retour- pan vers les royalistes, il Leur adressa à voix basse quelques paroles que je n'entendis pas. :

Aussitôt les Vendéens, — ces farouches biigands que l'on m'avait représentés comme si implacables, — vinrent me prendre affectueusement les mains. Quant aux liens qui ser- raient mes bras, Auselme les avait dejà brisés : je me re- trouvai done libre,


Je me consultais pour savoir de quelle façon je devais my prendre pour obtenir la grâce de Cherche-à-Manger, lorsque des cris déchirants, eutremêlés de délonations de fusil, arrivèrent jusqu'à moi! Il était trep tard! Le supplice du brave el cruel capitaine venait de commencer !Anselme ie conseilla à voix basse de ne pas me mêler de celte af- faire.

— Suis-moi plutôt, me dit-il, je vais te présenter à une personne avec laquelle tu es appelé, selon toute probabilité à faire une assez intime connaissance.

Anselme, sans me donner le temps de le questionner, mentraina alors au fond du souterrain.

Que le lecteur juge de l'étonnement que je dus éprouver en me trouvant en face d’une jeune femme fort gracieuse- ment vêtue, d'une admirable beauté, et dont l'air plein de distinction, un peu hautain même, annonçait une personne d’une condition ou d’un rang élevé,

Surpris d'une telle apparition je restai un moment st fait el sans savoir de quelle manière entamer la conversation avec l’inconnue; mon trouble, hommage involontaire, ne me parut nullement lui être désagréable. Ce fut elle qui, la première, prit la parole,

— Je vous complimente, monsieur, me dit-elle, d’avoir su inspirer une telle amitié à notre brave Anselme, et de l’a- voir rencontré dans un moment où son intervention vous a été si utile. Permettez-moi toutefois de m’étonner que, lié comme vous l’êtes avec notre intrépide champion royaliste, vous portiez l'uniforme de la République.

Îlme serait impossible de rendre la façon dédaigneuse avee laquelle la belle inconnue appuya sur le mot de Répu- blique : cette femme devait être évidemment fanalique dans ses opinions.

— Madame, lui répondis-j moi qu'un soldat de la réquis


, ne voyez, je vous prie, en on, c’est-à-dire un homme


que, S'ileñt refusé de marcher à la gloire, on aurait impi-

toyablement fusillé.. Mais, ajoutai-je après une courte sus- pension, et pour donner un autre cours à lu conversation qui me paraissait engagée sur un terrain brûlant, m'est-il permis de vous demander à mon tour l'explication des pa- roles que men ami vient de prononcer?

— Quelles parales, monsieur? je ne vous comprends pas, Auselme, madame, m'a annoncé que, selon toutes les probabilités, j'étais appelé à faire plus intimement votre connaissance,

— Je crains qu'Anselme n'ait été fort léger en cette cir- constance. Il croit sans doute que, reconnaissant du service qu'il vient de vous rendre, — car il ne faut pas vous dissi- inuler, monsieur, que vous lui devez la vie, — il croit sans doute, dis-je, que vous consenlirez à parlager le danger d'une mission for! périlleuse et fort délicate qu'il remplit en ce moment, et dans l’accomplissement de laquelle vous pou- vez lui ètre d’un grand secours.

— Anselme ne se trompe pas, madame,

— Quoil reprit l'inconnue en me regardant avec nne fxité étrange pour une femme de son âge, quoi! vous dé- fendriez votre ami s'il se trouvait exposé aux balles répu- blicaines ?

— Certainement, madame, et sans hésiter.

— Mais ce serait trahir votre cause, combattre contre vos principes !

— C'est possible! tout ce que je puis assurer, c’est moi vivant et en état de tenir un fusil, je n’abandonne- is lâchement mon brave ami en danger de mort, Geci n'est pas de la politique, c'est tout bonnement une question d'honnéteté et de sentiment.

— Prends garde, cher ami, me dit alors Anselme en se mêlant à notre conversation, lu l’engages trop! Mais d'a- bord, avant loul, apprends-moi un peu ce que tu comples faire?

— Je compte relourner le plus {ôt pos pelle mon devoir c’est-à-dire sous mon drapeau,

— Ah! bah! c’est la ton intention! Eh ie cher ami, laisse-moi te faire observer qu’elle est complètement dénuée de sens commun, Voyons, ne l'empurle pas &t accorde-moi


ible là où m'ap-