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36 LUCILE.



molivé mon départ... Vous pouvez la lire en entier : elle ne contient aucun secret.

Bois-Hardy prit le papier que lui offrait Lucile; mais, à peine y eul-il jeté les yeux, qu'il s’empressa de le lui rendre en disant :

— Je reconnais l'écriture, madame... cela suffit.

— Alors, il n’est plus question de nous fusiller ? dit An- selme. En ce cas, partons.

— Pourquoi parlir à cette heure, Anselme?

— Parce que je n'ai pas envie de rester plus longtemps en société d’assassins et de voleurs !... Oh! vous avez beau me regarder de travers, monsieur de Hardy, vous nem’empêche- rez pas de parler selon ma conscience ! Jusqu'à ce jour votre nom avait brillé pour moi d’un vif éclat, mais à présent que je sais à quels monstrueux excès se livrent vos chouaus, je proclamerai partout que vous êtes indigne de la réputation dont vous jouissez ! Un général n'est-il donc pas responsable de la conduite de ses soldats?

La hardiesse de mon brave compagnon d'armes ne me parut nullement déplaire à Bois-Hardy ; au contraire, il le considéra un moment en silence avec une espèce d'adni tion, que la tournure athlétique d’Anselme était de nature à justifier.

— Mon ami, lui répondit-il, je vons remercie de remettre sur le tapis un sujet de conversalion, que la présence de ma- dame m'avait fait oublier. A présent, que je vous connais et que j'ai une pleine et entière confiance en vous, racontez- moi l'incendie de la ferme du père Mathurin et l'assassinat dont ce malheureux à été la victime,

Anselme ne se fit pas répéler celle invitation : il rapporta

en peu de mots, avec une scrupuleuse fidélité, les événe- ments qui nous élaient arrivés, A plusieurs reprises, son récit fut interrompu par des exclamations non équivoques indignation et de dégoût des chouans présents, — Mon ami, lui dit Bois-Hardy lorsque Anselme cessa de parler, votre récit confirme bien tristement un avis que j'ai reçu el auquel je me relusais à croire, tant la chose me pa- raissait monstrueuse, Je n'ai pas à m'expliquer pour le mo- ment davantage sur ce sujet. L'important c’est que les 1 sérables qui ont ainsi déshonoré notre sainte cause soient punis de leurs forfaits, que l'honneur du nom chouan soit vengé, et il le sera, je vous en donne ma parole!

Deux heures plus tard, dès que le jour commença à poin- dre, Boïs-Hardy me pria avec Ansèlme, de l'accompagner dans la poursuite qu'il allait donner aux incendiaires de la ferme. Il tenait, nous dit-il, à nous avoir pour témoins de l'éclatante vengeance qu’il comptait tirer de ces misérables.

Nous acceplâmes celle proposition avec d'autant plus d'empressement que Lucile nous témoigna le désir de pren- dre un jour de repos et que Bois-Hardy nous assura que la jeune femme ne manquerait de rien el ue courrait aucun danger pendant notre absence.

Il pouvait être à peu près six heures du matin lorsque nous sorlimes de la forèl. Nous nous dirigeames tout aussi- tôt vers la ferme incendiée, afin de rechercher les traces des assassins!

Je laisse à penser au lecteur la douleur du malheureux fils de Mathurin en retrouvant le cadavre de son père. Tou- tefois le jeune Breton, avec une force de caractere inouie, ne versa pas une larme; il se contenta de dire qu’il n'aurait le droit de pleurer son père qu'après l'avoir venu

Les chouans, avec une sagacilé digne de Mohicans, ne een pas à découvrir le chemin pris par les incen-

iaires.

Bois-Hardy envoya aussitôt plusieurs de ses gars, porteurs de différents ordres pour ses colonnes mobiles; puis, sans perdre de temps, il se mit à suivre les fugitifs.

Je passerai sous silence les incidents assez insignifiants du reste, au point de vue du drame, qui signalérent notre mar- che pendant la journée.

Quoique les chouans ne perdissent pas une seule fois les traces laissées par les assa auil vint Sans que nous eussions aperçu encore les misérables que nous poursui- vivns,


Il était neuf heures, et nous venions de passer à travers un petit village, lorsque notre attention fut appelée par une grande lueur qui illuminait l'horizon à une distance d’envi= ron un quart de lieue devant nous. Bois-Hardy poussa un cri de joie : il allait atteindre les coupables.

En effet, une demi-heure plus tard nous arrivmes devant une cabane incendite : des meules de foin bräluient encore à l'entour de l'humble demeure.

— Mes gars, les voici! en avant! s'écria lout-à-conp Bois- Hardy en nous indiquant du doigt une troupe d'hommes qui fuyaient, Vengeons l'honneur de la Bretagne et fusillons ceux qui ont voulu le tenir,

Dix minutes ne s'étaient pas écoulées depuis que Bois- Hardy avait prononcé ces paroles, que déjà ses chouans avaient atteint les iucendiaires. Pas un coup de fusil ne fut tré.

Boïis-Hardy se contenta de se présenter devant les assas- sins et de leur dire :

— Je suis Bois-Hardy, et vous allez être fusillés 1

Les misérables, au nombre de viugt-deux, n'essayèrent pas la moindre rés : le nom qu'ils venaient d'entendre leur apprenait assez qu'il n°y avait plus pour eux d'espoir ni dans la défense, ni dans la fuite. Ils jetèrent leurs armes et essayrent de la prière.

— Quel est celui qui vous commande? dit Bois-Hardy.

Les incendiaires gardérent le silence, mais le chef breton ayant répété sa question, tous les yeux se porlèrent sur un homme de haute taille : cette délation tacite était parfaite- ment sullisante, Bois-Hardy ordonna: aussitôt à l’homme ainsi désigné de s'approcher de lui

Get homme qui pouvait avoir de trente-cinq à quarante ans, et dont la figure ne manquait pas d'une certaine éner- gie, obéissant aussilôt, vint se placer droit et immobile de- vant le chouan.

— À quelle paroisse appartiens-tu et quel est lon nom? Jui demanda-t-il,

Cette question parut embarrasser le chef des incendiaires, qui, après un moment d'hésitation, répondi

— Je me nomme Kernoc et je suis de Plancoët.

— Tu mens! il n'y a point de Kernoc à Plancoët, s'écria Büis-Hardy, qui, fixant avec une extrême attention son pri- sonnier, ajouta peu après :

— Non-seulement lu n'es pas de Plancoël, mais grâce à Dieu, lu w’es pas même Breton!

— Vous vous trompez, Bois-Hardy! je suis, je vous le répète.

— Assez, lais-toi! reprit vivement Bois-Hardy. Tu perds ton temps en essayant de me donner le change! La preuve que la Bretagne n'a pas à rougir d'avoir donné le jour à un able tel que Loi, c'est que tu ignores même, j'en suis sûr, la langue de ce peuple que tu voudrais déshonorer, en prélendant lui appartenir! Voyons, réponds à la question que je vais l'adresser.

Bois-Hardy, regardant toujours bien en face lincendiaire, lui adress alors la parole en bas-bretun. Le scélérat baissa la tête et garda le silence.

— Vous voyez, mes gars, s'écria Bois-Hardy joyeux, et en nous lançant à Anselme et à moi un regard à la dérohée, vous voyez bien que cel honmue n'est pas des noires, il né comprend pas le bas-brelon.

— Eh bien, oui, je l'avoue, je ne snis ni un royaliste, ni un chouan, dit alors le bandit en relevant fièrement la tête ; seulement, mon secret mourra avec moi et vous ignorerez après ma mort le parti que vous auriez pu tirer de ma cap- ture, si vous aviez été clément et généreux pour moi,

— Les bandits qui l'accompagnent n'appartiennent pas non plus à la Brelagne, n'est-ce pas? reprit Bois-Hardy sans paraitre faire attention aux paroles du faux Kernoc. Cela est facile à reconnaître à leurs cheveux courts el qui n’ont pas encore eu le temps de pousser depuis que ces misérables se Sont lravestis en chouans. À ce détail près, ils Sont assez bien costumés, pour pouvoir tromper un œil moins exercé que le mien,

— Les bandits gui m'accompagnent, pour me servir de