Aller au contenu

Page:Duplessis - Les Étapes d'un volontaire, 5, 1866.djvu/46

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

44 LUCILE.


son caractère impérieux, à peser beaucoup sur ma palience, Que diable, je suis un soldat du roi et non pas le garde du corps d'une priucesse errante!.…. Enfin, grâce à Dieu, j'es- père que l'on va me rendre ma liberté,

— Je ne te cacherai pas non plus, Anselme, que Lucile, si elle a un moment ébloui ma raison par son élrange carac- ière et son indomptable courage, n’a jamais éveillé non plus mes sympathies. Il y a en moi comme un pressentiment, qui me dit que cette femme n'est pas digne de l'amour de M. Jac- ques.

— Ji doit cependant, si je ne me trompe, l'épouser sous peu, me répondit Anselme. D'après la façon dont il s'est ex- primé devant moi sur son compte, il m'a été facile de voir qu'il éprouve pour elle un véritable eulle ! :

Pendant qu'Anselme me parlait, je réfléchissais si je de- vais, oui ou non, lui faire l’aveu des soupçons qui m’avaient traversé l'esprit, lorsque j'avais trouvé l'énigmatique billet dont j'ai déjà rapporté le contenu au lecteur : toutefois, et malgré la répulsion que j'éprouvais pour Lucile, ces soup- çons me parurent si dénués de fondement, si impossibles, que je n'osai pas les communiquer à Anselme, dans la crainte qu'il ne se moquât de moi. importe, continua Anselme après un court silence et en se levant, que Lucile me plaise où now, elle n’en a pas moins été dsl à mes soins et à ma garde et je dois ac- complir mon devoir jusqu’au bout. Je vais m'informer de ce pas si elle n’a pas besoin de mes services!

— Tu as tort, car il est possible qu’elle soit endormie, et ta présence, au lieu de lui ètre utile, ne ferait que la déran- ger.

— Au fait, lu as raison. Alors, bonsoir!

Anselme, après m'avoir, selon son habitude quotidienne, donné une bonne poignée de main, s’étendit par terre, et ne tarda pas à s'endormir d’un profond sommeil : je m'empres- sai de suivre son exemple! Je dormais depuis assez long- temps, lorsqu'une violente secousse que je ressentis au bras me réveilla en sursaut. J'aperçus, en ouvrant les yeux, car Ja lune s'était levée, Anselme penché sur moi.

— Qu'y at-il? lui dis-je. Les bleus viennent-ils nous at- laquer? Mais qu'as-tu donc, ajoulai-je avec inquiétude, ton visage est pâle comme celui d'un mort, et tn sembles’tout ému

— Il y a bien de quoi être ému, me répondit-il d’une voix tremblunte, Ah! si Lu savai: 2

— Mais parle donc! Jamais je ne t'ai vu dans ua tel élat pas même lorsque, la veille du 9 therœidor, on vint Le cher- cher pour 1e conduire à l'échafaud.

— Ah! oui, je me rappelle... le jour où si bien joué du bâton parce qu’on ne voulait pas me laisser étrangler ce coquin de Manini!.… A propos de ce Manini, c'était un fier gredin, n'est-ce pas?

— Oui, certes, mais à quoi bon toutes ces digressions ? Il n'est pas question pour le moment de Maniui, mais bien de la cause de lon émotion.

— Je te demande pardon, je ne m'éloigne nullement de mon sujet en Le parlant ainsi, el la preuve, c'est que je te re- nouvelle-mes réflexions : — C'était un fier gredin el une fa- meuse canaille, n'est-ce pas ?

— Certes oui; un espion et un délateur!

— Eh bien, je crains que Lucile ne soit plus infime en- core que cet lialien de malheur!

— Que dis-tu? m’écriai-je en me levant d'un bond.

— Ge qui est. Mais sortons de ce hangar. Ce que j confier veut la solitude. je ne me fis pas répéler deux fois cette invitation. Je pas- sai moi bras sous celui d’Auseilme, et l'eutrainant hors du hangar :

— Parle! lui dis-je, et dépèche-toi, car moi aussi j'ai une

onfidence à Le faire. 7


iate


Anselme, après s'être assuré par un regard rapide que nous étions bien seuls, se pencha à mou oreille et baissant la voix :

— Ah! mon ami, me dit-il, quelle affreuse désillusion, quelle épouvantable découverte! J'en suis encore à me de- mander si je ne suis pas sous l'influence d'un horrible cau- chemar!.… Tu dois Le rappeler que je voulais, après ce que j'appellerai, faute d’une autre expression, notre souper, aller m'informer si Lucile n'avait besoin de rien, et que tu m'as empèché d'accomplir ce projet en me faisant observer que ma visite la dérangerait peut-être?

— Oui, je me le rappelle ; ‘ensuite ?

— il y a à peu près une demi-heure que je me réveillai, l'esprit inquiet et tourmenté, et me repentant de n'avoir pas donné suile à mon idée. Ne pouvant me rendre auprès de Lucile au beau milien de la nuit, je résolus d'aller faire un tour du côté de sa cabane pour m'assurer que lout était tran- quille, et je me mis de suile en route, Je n'étais plus qu'à une trentaine de pas de sa demeure, lorsque Lout à coup la porte s'ouvrit et que je vis sortir un homme!

Ma première pensée fut que cet homme était M, Jacques, et oubliant, dans la joie que’ j'éprouvais à revoir mon sau- yeur, ce qu'il ÿ avait d'inconvenant à le surprendre, je m'é- lançai vers lui.

. — Et cet homme n’élait pas M. Jacques! m'écriai-je en interrompant Anselme.

— Ah! si ce n'était que cela, me répondit-il en levant les yeux au ciel, Lu ne me verrais pas ému comme je le suis.

— Mais alors quel était donc cet homme ?.

— Devinel mais non, tu ne le pourrais jamais, La per: sonne qui sorlait ainsi, au milieu de la nuit, de chez Lucile, c'était Kernoc, le faux chouan ! Que penses-tu de cela? L'é- tonuement l'empêche de me répondre, n'est-ce pas?

— Mon élonnement est en effel fort grand, mais moins ce- pendant que lu te l’imagiues, Depuis longtemps je soupçon- nais Lucile...

— Ah! bah! et tu ne m'en as jamais rien dit?

— J'avais peur de tes moqueries.

— Au fait, c’est vrai, je me serais moqué de loi,

— Mais achève donc lon récit !

— Tu conçois, reprit Anselme, que ma première pensée

fut de courir après le bandit, mais la voix de Lucile qui m'ap- pui m'arrêla au beau milieu de mon élan. Peut-être ce Kernoc n'était-il pas seul, pensai-je, et il est possible que j e encore à {emps pour tordre je col à un de ses com plices! Cette idée me donna des ailes : en une seconde je fus auprès de Lucile.

— Anselme, me dit-elle brusquement, je vous défends jusqu'à nouvel'ordre, retenez bien ceci, je vous défends de révéler à qui que ce soit, sans exception, le secret dont le hasard vient de vous rendre maître.

J1 y a dans ceci un grave intérêt politique que vous saurez plus lard, mais que je ne puis vous faire connaître à pré= sent. Vous n'ignorez pas pression défavorable et pro- fonde qe produisit sur moi, la prémière fois que je l’aperçus, cet infime bandit de Kernoc! Croyez qu’il m'a fallu faire un appel à tout mon amour el à tout mon dévouement à Jacques pus lui obéir, lorsqu'il m'a envoyé l'ordre de recevoir ce

andlit.

— Quoi, Lucile, c’est par ordre de M. Jacques que vous avez j reçu celle nuit ce Kernoc| Mais alors comment se

i1?


— Pas de questions! s’écria-t-elle en m’interrompant. Bientôt, Jacques et moi, nous vous remercierons de votre discrétion. D'ici là, oubli et silence. Lucile, après avoir pro- noncé ces mois d'un ton de princesse, rentra dans sa cabane en refermant la porte sur elle. Et voila! Vraiment, tout cela me paraît si étrange que je n'ai pas voulu laisser passer ciuq minutes sans te consuller,.….