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Page:Duplessis - Les Étapes d'un volontaire, 5, 1866.djvu/5

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LUCILE. LS


pour que je me laissasse prendre par une dizaine d'hommes seulement, que je fusse devenu une vérit 1ble poule mouil- lé. S'il y a, combat el que nous succombions, je Le pro- mets que ce ne sera pas au moins sans gloire. $ Aunselme achevail à peine de prononcer ces dernier mots, wlèrsque ous Vimes apparaître à la grille de notre corridor 7 ne troupe nombreuse composée de guichetiers et de dats, En tête marchait l'administrateur Bergot, suivi immé- diatement de notre concierge, l'infâne el cruel Semé,

A celle apparition de mauvais augure, un grand silence se fit parmi les prisonniers ; lous; nous pressenlions un orage ? nous ne nous Lompions pas,

L'adminis! of, après avoir distribué, comme général en chef de cette‘expédition, les forces qu'il com- mandait, nous ordonna de nous réunir à l'extrémité du cor- ridor, opposée à celle où était Ja grille: Peu désireux de re- cevoir des coups de manches de piques ou de crosses de fusils, nous nous empressames d'obéir.

Ainsi massés nous ressemblions assez À un troupeau de moutons réunis et resserrés par les chiens dn berger.

— Misérables canailles, nous dit alors Bergot en criant à

leins_poumons, misérables canailles d'aristocrates ; trem-

be ! Votre complot est découvert, vos projets son! connus. el vous ne larderez pas à subir la peine de vos crimes! Ah! vous vouliez vous évader pour aller assassiner le plus ver- Jueux de tous les citoyens, le grand et l'incorruptible Robes- pierre! Tremblez, vous dis-je, un si monstrueux forfait ap- pelle un exemple terrible! La République saura accomplir son devoir,

Gelte apostrophe de l'administrateur Bergot fut accueillie par un morne silence. Le Lrisle el maigre régime alimentaire auquel nous étions soumis depuis quelque Lemps avait réduit à un tel état de dépérissement les détenus ; qu'ils ne se sen- taient plus le même courage.

Bergot allait probeblement, enchanté de l'effet qu'il venait de produire, reprendre son discours, lorsque la voix mâle et forte d'Anselme se fit entendre,

Mon compagnon, fendant lu foule, s'avança ‘dans l’espace resté libre entre les sentinelles et nous, et s'adressant à l'administrateur :

— est complètement inutile que tu te donnes tant de mal jour faire croire à un complot qui n’a jamais existé, lui dit-il en le regardant en face, I est vrai qu'on & scié un barreau: mais je suis le seul coupable de ce fait Lout à fait ignoré de.mes compagnons d'infgrtune el dont, par consé- quent, ils ne doivent pas supporter [a responsgbilité.

A celle noble déclaration d'Anselme, je sentis un frisson me passer à travers le corps : en ellel, n'était-ce pas sa pro pre condamnation à mort mon aui venait "de pro- noncer?

Celle audace surprit tellement an premier abord l'aëmi- Dislrateur Bergot qu'il resta un moment sans savoir que ré- pondre : toutefois, repreaant bientôt son sang-froid, il ft un sigue.à.ses guicheiiers qui entourèrent Anselime;

— Ton aveu, dit-il alors à mon pauvre compagnon d'ar- mes, ue prouve une seule chose, c'est que tu joins l'impu- dençe au crime, mais il »’absout en rien tes complices !

— Mes complices ! Allons done! est-ce que j'ai des com. plices, moi? s’écria Anselme, Croyez-vous SRE nravoir tel- lement énervé par votre abominable nourriture que je n’aie plus la force de tuer un bourreau? Meltez-moi un peu en colère, et vous allez voir si je re suis pas encore capable d'é- rangler cinq à six de vous!

A celle réponse d'Anselme faite, qn le comprend, avec une conviction parfaite, et sans fanfaronnade , l'administra- teur Bergot se recula vivement el adressa un nouveau signe à d’autres guicheliers, qui vinrent reuforcer leurs camara- dés? mais Anselme, les écartant viole ment'par un brusque mouvement d'épaules, sortit d'au jeu d'eux et s'élança, avant qu'on eût le temps de le retenir, sur l'italien Maniui qu'il Vénait d’apercevoir el qu'il saisit par l'épaule, Au con lact de là puissante main de mon ami, l'Italien devint päle -£pmme un cadavre,

+ Oh! ne Grains rien, Manini, lui dit Anselme, tu ‘ne

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pas à me venger de toi.-Je:veux se



in'as pas trahi et je lement que tn déclares devant le citogeu ad nibistrateur, 4 tu sais parftemeut que je suis le seul coupalle. on ami +, Coquery a dû Le raconter la eouversalion que j'ai eus-au2sté on

jet de l'évasion en question avec un de mes camaradestetn que lui, Coquery, a surprise. Voilh tout ce que j'exigettéta loyauté, MITA


Coquery ne m'a rien dit à ce sujet, répondit l'Tialiems revenu un peu de sa frayeur. Quant à moi, personnellés-est, je puis déclarer qu'il esi à ma connuissance que Lu as relusé. de Vassocier au plan d'évasion qu'on l'a proposé. Je ne puis donc, loia de là, déclarer que’je Le crois coupable. Ma con- on , au contraire, es que, fatigué de: la vie, tu essayes mer la responsabilité d'un fait dont lu ignorais encore. tout à l'heure l'existence, pour sauver celle de tes compa- güous compromis. A cette réponse de Manini, l'administrateur Bergot ne put imuler la surprise qu'il éprouvait, il ne s'attendait pas à tant de générosité de la part de l'Italien.

— Voilà bien assez d'explications comme cela, dit-il en s'adressant aux soldats el aux guicheliers el en leur dési- gnant Anselme, emmenez cet homme, et conduisez-le au ca- chol n°7. £

— À revoir! dit Anselme en me regardant, mais sans m'appeler par mon nom, dans la crainte de me compromet- tre; mon affaire m'a l'air ussez claire. -1l_est probable que l'on ne me reverra plus ici.

11 me serait impossible d'exprimer le désespoir. que j'é= prouval lorsque je vis disparaître mon pauvre ami derrière

a grille du corridor:je pespus retenir mes-larmes,

J'étais depuis à pou-près nne heure-assis dans l'angle le plus obseur de notre sombre demeure, lorsque, à surprise dont je ne me souviens encore aujourd'hui qu'avec ravisse- ment, je vis reparaître devant moi Anselme]

— Est-ce possible! m'écriai-je en me jetant dans ses bras. Mes sens ne m'abusent-ils pas ? Est-ce bien Loi que je revois ?

— Malheureusement oui, c'est moi, me répondil-il avec NA deuL Lis s'obstinent à ne pas vouloir me croire cou- pable:

— Eh quoil on dirait que cela te contrarie?

An Cela fait plus que de me contrarier, cela me -déses- père!

— Quoi ! es-tu donc fatigué à ce paint de:la vie que mon amitié soit impuissante pour.te la faire supporter ? lui dis-je d'un ton de deux reproche,

— Un homme qui à faiw et qui a ban appétit n’est jamais fatigué de la vie, me réponditil, car il rêve toujours un bon repas, el cela lui voir en beau l'avenir! Ce qui me dé: sespère n'est pas que l'on se rpfuse à me guillatiner, mais je devine à la clémeuce inusilée dont on use envers moi, que ces brigands de sans-culoltes vauleot-avoir à: tout ptix-une conspiration, et je frémis en songeant aux conséquences qui résulleront de ce souhait !

— Mais enfin pourquoi et comment La-t-on-reläché? Quel interrogatoire as-tu subi?

— Où w'a relâché, je te:le répète, parce que si l'on m'a- vait fait comparaître devant le Wibunal, j'aurais: déclaré-s0- lennellement que fe: n'avais pas de complicss, et que celte déelaralion aurait-nui aux projets de ces monstres. Quait à mon interrogaloire, il a été des plus sommaires: Es-tu cou: tent de la cuisine du raiteur Périnal? m'a demandé l'adani- nistrateur Bergot. — L'afreux empoisouneur ! ai-je répondn, que ne w'esl-il donné, avant de mourir, de le voir grillen dans une rôlissoire? — Te Lrouves-tu mal de mon admiuis- tration ? a-1-il| repris. — Exirémement, mal. — Tu L'ennuies beaucoup ii? — Gertes; beaucoup! ;

Alors Bergot se relourmant vers son collègue Grepin, qui l'assistait : — Les réponses de cet homme prouvent jusqu'à l'évidence, Jui a-t-il dit, que Manini a eu raison en préten- dant que ce fou rêve le sujcide. 1l est dézeñté de toutet rien ne lui plait. Mo avis est qu'il n'a jamais songé às'évaler, et qu’en se vaufant d’avoir scié un barreau, il cherche tout bonnement à se faire envoyer à la gaillotine! Le piége est