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ALFRED DE VIGNY

abattus en grand nombre à la mort d’Alfred de Vigny ; mais il en reste, et ils n’ont pas ce prestige mystérieux qui fait penser à Brocéliande ou à la Forêt des Ardennes. Les fontaines sont encore là. Sur sept (et non pas huit), on a dû en aveugler deux, dans l’intérêt de la prairie qu’elles noyaient en l’arrosant avec trop de largesse. Elles n’ont pas ce caractère auguste et quelque peu sacré que la fantaisie du poète leur attribue. La topographie les explique. La petite colline sur laquelle Alfred de Vigny représente le Maine-Giraud, juché sur un piédestal qui serait formé d’un seul bloc, est, pour tout dire, une cuvette naturelle où descendent et où s’arrêtent, plus peut-être qu’il ne faudrait, les eaux des collines plus élevées qui décrivent un large cercle — Vigny dit justement « un cirque » — autour de cette habitation.

La demeure elle même n’est ni aussi ancienne, ni aussi vaste, ni aussi formidable, il s’en faut de beaucoup, que le poète le croit.

« La nature, écrit-il, a dessiné dans ses formes quelque chose d’un couvent et d’une forteresse. Les murailles épaisses sont enfoncées dans les rocs et fendues de tout côté par des meurtrières qui protègent les vallons et d’où les coulevrines pouvaient balayer les avenues par un feu pareil à celui d’un bataillon carré. Une tour octogone allonge son toit d’ardoise aigu comme celui d’un clocher. A ses flancs s’attache une tourelle couronnée d’un petit dôme d’où sort une longue flèche. Les grandes salles boisées de chêne noir sculpté semblent avoir réuni à la fois des moines et des chevaliers. Leurs larges embrasures, qui ont des bancs de bois noir pareils à des stalles préparées pour les prières et les méditations, et, sous terre, des murs de six pieds d’épaisseur sont prêts pour le siège, enfoncés dans la terre et scellés dans le roc où leurs voûtes et leurs