Page:Duranty - La Cause du beau Guillaume.djvu/12

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Mais l’impression avait été vive et ne s’effaça pas. L’arrivée de son héritage coïncida si étroitement avec ce désir idyllique que Louis y vit un encouragement providentiel à exécuter son dessein. Il avait été tellement sevré de toute espèce d’action, que celle-là lui parut considérable, et que, désespérant depuis longtemps déjà d’avoir jamais l’occasion d’en accomplir de plus vives, il fut fort satisfait de lui-même pour avoir tenté un pareil et premier effort.

À ce moment, Louis était dans une période de résignation vis-à-vis de l’existence. Il avait toujours attendu qu’un événement imprévu vînt secouer sa torpeur, et le jeter en avant ; il considéra l’héritage comme cet événement si ardemment appelé, et ce fut avec un tressaillement de plaisir, une sorte d’ivresse qu’il quitta la maison de son père pour s’en créer une à lui, pour avoir la « sienne ».

Rien n’est si pesant pour la jeunesse que le manque de but et le manque de possession personnelle, qui l’empêchent de s’intéresser à ce qui l’entoure. L’idée d’avoir une maison grandissait Louis, et « l’intéressa » donc extraordinairement. L’emploi de ses cinq mille francs fut une source de calculs, de plans infinis, sans cesse recommencés et tous creusés avec une joie et une ardeur comiques.

L’expérience avec un cortège d’échecs, de soucis et de catastrophes plus considérable qu’il ne l’eût souhaité, attendait à Mangues ce jeune homme naïf, farouche, enfantin par beaucoup de côtés, expérimenté en théorie, et d’une personnalité exaltée par ses habitudes solitaires, ses tourments intérieurs de jeunesse.