Page:Duranty - La Cause du beau Guillaume.djvu/19

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lées, elles tenaient le front baissé et appuyé sur quelque chose dont Louis ne put apprécier la nature. Elles sanglotaient presque furieusement, jetant des cris bizarres, puis, relevant brusquement la tête et la renversant en arrière, elles poussaient leurs longues plaintes, semblables à des hurlements.

Ces femmes pleuraient un mort, cela n’était pas douteux, et Louis assistait au mode d’enterrement particulier à Mangues. Le jeune homme se rappela en avoir lu la description dans les livres archéologiques de la province.

Lorsque la charrette passa devant lui, les trois femmes relevèrent la tête, afin évidemment de satisfaire une invincible curiosité, en regardant le « monsieur », et Louis aperçut la jeune fille dans le groupe.

Malgré la solennité de la circonstance, qui aurait dû chasser toute pensée étrangère au recueillement, la jeune fille ne manqua point à son petit salut qu’elle adressa cette fois d’un air sérieux, sans sourire.

La charrette s’éloigna, laissant encore longtemps entendre les cris et voir les étranges mouvements des têtes qui se levaient et se baissaient.

L’apparition de ce singulier char funèbre teinta de noir ou plutôt de gris l’esprit de Louis, qui ne put s’empêcher de se dire : — Cette pauvre fille si souriante est tombée maintenant dans la tristesse. Elle a perdu peut-être un père ou une mère. Et désormais, quand je la rencontrerai, elle ne m’apparaîtra plus que pâle, soucieuse, et elle ne sourira plus.

Ainsi il avait déjà vu la jeune fille en trois circonstances de plus en plus frappantes. Chaque fois, elle s’était attachée davantage à sa pensée. Et, à la dernière, un sentiment plus fort venait s’ajouter à ceux qu’il avait déjà éprouvés.