Page:Duranty - La Cause du beau Guillaume.djvu/45

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pensait. Il se tâtait avec un étonnement ravi. Il ne se reconnaissait plus. Le changement était merveilleux. Il se trouvait plus vigoureux, moralement.

Des chants s’élevèrent en avant de lui, dans le lointain, de grossiers chants de paysans avinés, et bientôt une bande de sept ou huit garçons, qui se tenaient par le bras, apparut, venant à sa rencontre.

Louis n’aimait guère les paysans, ni les ouvriers. Il redoutait « les gens de la blouse » comme une race hostile, pleine de haine, de bassesse et d’insolence, surtout comme une race matérielle, douée de trop gros bras et de trop larges épaules pour être autre chose que mécanique et brutale. Cette aversion n’était pas raisonnée : il ne pouvait la vaincre.

Les paysans qu’il croisa sur le chemin braillaient à tue-tête, et avaient certainement beaucoup bu. En l’apercevant, la bande obliqua visiblement de son côté, afin de se donner le plaisir de bousculer un peu en passant « le monsieur ».

Louis marcha sans se déranger, la bande se rabattit un peu du côté opposé ; mais il fut néanmoins heurté rudement par un grand garçon qui était à l’un des bouts. Louis s’y attendait, et ce fut le paysan qui faillit perdre l’équilibre.

— Drôles ! s’écria Louis irrité, et qui, s’il avait pensé n’avoir affaire qu’à un seul d’entre eux, eût donné volontiers un coup de canne.

Mais les paysans enchantés continuèrent leur chemin en braillant encore plus fort, et, malgré sa colère, Louis n’entreprit point de casser les reins à huit grands gaillards, dont chacun avait les mains larges comme la moitié des épaules du frêle jeune homme.

La figure de celui qui l’avait heurté, il l’avait vue quel-