Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/101

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trouva son frère léger. Le président pensa que Pierre ne devait pas plaire à une femme.

Madame Gérard reprit froidement :

« Je vois que mon mari est distrait ; nous attendrons, pour reparler de tout cela, un moment où il aura l’esprit plus libre.

— Bah ! répondit Pierre, c’est une idée que je ne pouvais pas laisser échapper ! Je crois avoir fait ma fille exprès pour la marier, mais cela ne m’empêche pas de chercher une charrue qui sera un bienfait pour les populations. C’est aussi pour ma fille que je travaille, en voulant rendre à la terre le bien qu’elle nous a fait. »

Sa femme l’interrompit.

« Nos amis, dit-elle, sont initiés à toutes les affaires de la famille, nous ne ferons rien sans les consulter. »

Le domestique Jean vint annoncer que la carriole du soir était prête pour ramener chez eux les habitants de Villevieille.

Il arrivait fort rarement que le président et le curé retournassent ensemble à la ville. Le curé se sentait inquiet devant la perspective de passer vingt minutes seul avec le magistrat, assis tout près, à se serrer, sans aucune barrière entre eux. Le président aurait volontiers souhaité que la voiture versât et que le curé se rompît le cou. M. Doulinet s’attendait à boire beaucoup de vinaigre, mais il ne pouvait décemment paraître avoir peur. Il se serrait seulement de toute sa force dans son coin pour ne pas effleurer M. de Neuville, qui ruminait les moyens de confondre et de dégoûter l’exécré Théopompe. À force d’écrire contre Théopompe, le président avait toujours ce nom sur les lèvres, et, emporté par l’habitude, il lui dit de sa voix aigre :

« Monsieur Théopompe, vous croyez donc…

— Pardon ! » s’écria le curé, bouleversé de ce nom païen.

M. de Neuville s’arrêta tout court, aussi surpris que l’abbé, puis, trouvant l’aventure bouffonne, se mit à rire beaucoup.

Le curé se garda bien de demander des explications et savoura prudemment les bienfaits de la trêve qui suivit le lapsus