Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/15

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rales qui, on a pu l’entrevoir déjà, affligeaient la famille Gérard.

La jeune fille, animée par une droiture inexpérimentée naturelle à la jeunesse, souffrait de se trouver parfois en hostilité avec son entourage. Mais, froissée par des sentiments qui n’étaient point très élevés, elle ne pouvait se défendre de manifester un peu d’éloignement pour l’infériorité morale du petit monde des Tournelles. Elle aurait voulu retenir souvent l’expression de ses contrariétés ou de ses répugnances, mais les chocs devenaient inévitables et chaque jour plus fréquents.

Henriette était toujours disposée à prendre le contrepied des opinions préconisées par ce groupe de personnages, dont les défaillances lui semblaient une mauvaise recommandation de sens et de dignité.

Partant de ce principe, fatalement, forcément enraciné dans son esprit, que sa famille ne pouvait juger avec une autorité légitime le bon ou le mauvais, l’honnête ou l’inconvenant, Henriette se défiait de toutes les idées et de toutes les actions de ses parents et de leurs amis, et croyait préférable de s’appuyer sur ses propres instincts, sans savoir qu’elle s’exposait ainsi à des erreurs et à de cruels mécomptes.

La jeune fille était le plus souvent triste, et eût vivement désiré connaître quelqu’un qui lui fût sympathique, en qui elle eût confiance et qui rafraîchît un peu son esprit par des conseils salutaires, des idées plus larges.

Elle n’aimait point à sortir, tenait en aversion la société de Villevieille, et n’avait pu se faire d’amies de son âge, ni rencontrer quelque femme âgée, éclairée, douce, de bon sens et d’esprit, à laquelle elle se serait attachée passionnément ; car elle souhaitait avec ardeur trouver sur sa route une personne d’une intelligence plus élevée que n’était celle des gens de Villevieille et des environs.

Quoi qu’il en soit, elle ne se doutait pas, ce jour-là, que ce bal, où elle ne voulait point se laisser conduire, allait avoir une grande influence sur sa destinée.