Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/158

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

couche de bonne heure et où les émotions s’éteignent, est difficile à accepter. Cependant il y a des compensations : les beaux paysages, la quantité de gens qui dépendent de vous, une considération plus effective ; et, à la Charmeraye, qui est dans un site délicieux, toutes ces conditions sont réunies.

— Oui, dit Matbéus d’un air aimable, mais on se blase sur les plus belles choses : le spectacle de la nature finit par ne plus intéresser, les paysans marchent très bien sans vous, et on reste dans un coin comme une marmotte, surtout lorsqu’on est seul ! »

Ce propos ne donna aucune alarme à Henriette : ces banalités la fatiguaient. Mathéus appuya de nouveau sur cette idée : « Pour un homme seul, les choses perdent la moitié de leur intérêt. La famille a un prisme qui rend l’aspect de toutes choses plus satisfaisant. Vous en conviendrez, vous surtout, Madame, qui avez le bonheur d’être si bien partagée sous ce rapport. »

Pour envoyer quelque dureté couverte à l’adresse d’Henriette, madame Gérard aurait bien répondu qu’elle n’était pas heureuse, qu’il pouvait y avoir des souffrances cachées sous un masque de tranquillité ; mais elle s’en garda bien.

Le curé dit alors qu’il était impossible de voir une famille plus remarquable, et le président, toujours hérissé, murmura : « Je lui conterai l’histoire du curé flatteur. »

Mathéus cherchait à attirer l’attention d’Henriette ; mais il n’était point maître de parler à sa guise. Madame Gérard ne se souciait pas de rester sur un terrain semé de fondrières où toutes ses finesses finiraient par s’engloutir.

« Enfin, Monsieur, dit-elle, après plusieurs années, je crois, regretteriez-vous Paris ?

— Mon Dieu, Madame, personne n’a été plus Parisien que moi, mais je me brûlais à Paris. À présent je n’y voudrais pas retourner. C’est comme un pays que j’ai vu en rêve ; il me semble que Paris n’existe plus. Cela n’empêche pas que je n’aie eu quelque peine, et j’en ai encore, à m’habituer aux gens de ce pays-ci. Ce ne sont plus les mêmes idées, les mêmes souvenirs. J’ai même fini par me retirer de la société de